Niccolò Paruta, un réformateur italien antitrinitaire
note rédigée par Jean-Claude Barbier à partir du site italien Eresie ( lien), du site français de Didier Roux sur les Réformateurs anti-trinitaires ( lien) et de l’encyclopédie Wikipedia en version anglaise ou française
Niccolò Paruta ( - 1581), fils d’un noble vénitien, fut médecin et se joint aux anabaptistes en participant en 1546 à une importante rencontre qui se tint clandestinement au collège Vicentina, réunissant des anabaptistes et des anti-trinitaires. En 1560, il doit quitter Venise à cause de ses convictions réformatrices.
Il se rend d’abord à Genève, avec Andrea da Ponte (1508-1585) vers 1560. Mais Jean Calvin ne reçoit pas bien ces Italiens anti-trinitaires qu’il veut soumettre à sa propre confession de foi. L’anti-trinitaire Michel Servet, rappelons le, a été mis sur le bûcher en octobre 1553, au terme d’un procès d’Inquisition initié et conduit pour la partie religieuse par Calvin. Les Italiens lui en font grief. N. Paruta préfère quitter la ville et s’installer en Moravie à Austerlitz en 1561.
Là, il fonde un véritable salon anti-trinitaire qui se trouve renforcé par l’arrivée de célébrités comme Jean-Paul Motta Alciati, Giovanni Valentino Gentile et Bernardino Ochino, lesquels ont été expulsés de Pologne après l'édit de Parczòw de 1564 (cet édit ordonne l'expulsion de tous les étrangers non-catholiques). B. Ochino passa d’ailleurs les derniers jours de sa vie chez N. Paruta, en février 1565. D’autres réformateurs vinrent les rejoindre comme Marcantonio Varotta (en 1566) et Nicholas Buccella, avec qui il entretint des relations durables d’amitié.
On retrouve N. Paruto à Cracovie en 1571-1572, puis l’année suivante, en 1573 en Transylvanie, au collège anti-trinitaires de Kolozsvar. Les réformateurs de cette mouvance viennent de vivre leur heure de gloire sous le règne de Jean II Sigismond, prince (vovoïde) de Transylvanie. Ils ont eu le dessus lors des disputes théologiques et la diète de Torda, en 1568, a avalisé leur position libérale accordant la liberté de penser aux ministres du culte. Mais le Prince est mort d’un accident de chasse en mars 1571, et son successeur est catholique … et influencé par les Jésuites, lesquels mènent la Contre-Réforme !
Carte "française" de 1846 utilisant en fait les cartes existantes avec un joyeux mélange de toponymies allemande et hongroise : "Temesvar" (partie à gauche et en bas de la carte) est écrit en hongrois (la ville s'appelle en allemand Temeschburg et en roumain Timisoara ; elle est la capitale du Banat). Au centre de la carte, "Klausenburg" est le nom allemand de Kolozsvar (en hongrois), ville dénommée depuis Cluj-Napoca par les autorités roumaines. Plus bas, "Carlburg" est le nom allemand de la ville de Gyula-fehervar (en hongrois), qui est l'actuelle Alba-Iula. En bas et au centre, "Hermanstadt" est le nom allemand de Nagyszeben (en hongrois) qui est Sibiu en roumain. "Kronstadt", en bas et à droite, est Brasov en hongrois et Brasso en roumain. Marosvasarhely (centre droit de la carte, à une latitude proche de celle de Klausenburg) est le nom hongrois de l'actuelle Tirgu Mures (en roumain). Enfin, plus au nord, Bistritz est en allemand et correspond à la ville saxonne dénommée Beszterce en hongrois et Bistrita en roumain.
au collège de Kolozsvar
Ce collège de Kolozsvar (dit le Gymnasium en latin) semble avoir été un lieu de convergence (et sans doute d’effervescence intellectuelle !) pour plusieurs anti-trinitaires de ces années 1570. N. Paruta y a cohabité avec Matthieu Glirius, et Jacques Paléologue.
A-t-il rencontré de son vivant Johannes / János / Jean Sommer, le fondateur de ce collège ? Celui-ci, né en 1540 en Saxe dans la ville fortifiée de Pirna, ancien étudiant luthérien de l’université de Wittenberg, est déjà venu en Transylvanie où il fut maître de l’école de Biatricz [ndlr – sans doute Beszterce en hongrois et Bistrita en roumain, qui est un groupement saxon au nord-est de Kolozsvar]. Reparti en Allemagne, il est rappeler en Transylvanie pour ses compétences en grec à la demande de Georges Biandrata et de l’évêque hongrois Ferencz David. Il arrive à Kolozsvar au printemps 1572, accompagné d’Adam Neuser (tous deux sont partis de Cracovie le 15 avril). Malheureusement, lui et sa famille (sa femme et sa belle-fille) seront victimes de la peste ; il meurt en 1573 (année de l’arrivée de N. Paruta) ou en 1574.
L’Allemand Adam Neuser, né vers 1530 à Gunzenhausen, une cité de la Bavière, ancien ministre calviniste de l'église Saint-Pierre à Heidelberg, mis en prison pour une lettre adressée à Sigismond II de Transylvanie et interceptée par la police impériale, mais en cavale depuis 1571, ne s’attarde guère en Transylvanie (le danger est réel : son ami Johannes Sylvan, est exécuté en 1572 par les autorités impériales). On le retrouve à Constantinople … où il s’est converti à l’islam, sans doute pour le besoin de se mettre sous la protection du sultan. Stephen Gerlach, un théologien luthérien, qui se rendit à Constantinople dans le mois d'août 1573, en qualité de chapelain domestique pour le baron Ungnad Von Weiszenwolf, ambassadeur autrichien à la Sublime porte, le rencontre et s’étonne de sa conversion. A. Neuser décédera le 12 octobre 1576, d'une maladie incurable et douloureuse (ce que d’aucuns considèreront comme un jugement de Dieu pour son apostasie !).
C’est Matthieu Glirius (vers 1545-1590), de son vrai nom M. Vehe, spécialiste de l’hébreu, qui succède, en qualité de recteur, à Jean Sommer. Il est né à Ballenberg (dans le canton de Berne ?) et a été étudiant des universités d’Heidelberg et de Rostock. Il fut diacre à Kaiserlautern. Il restera recteur jusqu’au moment du conflit entre Georges Biandrata et Ferencz David. Ce dernier meurt en prison en novembre 1579 et on attribue à Matthieu Glirius un pamphlet publié en 1581 mettant en cause Georges Biandrata et ses amis sociniens dans la condamnation de celui qui fut le premier évêque de l’Eglise anti-trinitaire de Transylvanie (la dénomination de cette Eglise deviendra « unitarienne » à partir de 1600), de 1568 à 1579. Deux disciples locaux de Matthieu Glirius, András Eőssi et Simon, fonderont un mouvement judaïsant, les Sabbatariens (voir deux livres récents qui sont sortis sur eux, lien), qui connaîtra un certain succès auprès des populations sicules (Szekler en anglais) du Centre et de l'Est de la Transylvanie. Lui même partira en Pologne, puis retournera en Allemagne en 1589, mais il y sera arrêté et mourra en décembre 1590.
Matthieu Glirius, dans sa fonction de recteur, sera secondé par Jacques / Giacomo /Jacob / Iacopo Paléologue / Paleologo / Palaeologus, dont la famille est originaire de Grèce (il est né sur l'île de Chios en 1520) et immigrée en Italie après la conquête ottomane (Constantinople est prise en 1453). Entré dans l’ordre des Dominicains, il fait des études de théologie à Gênes et à Bologne, puis est envoyé en 1553 au couvent de Pera, près de Constantinople. Mais développant des idées universalistes comme quoi les adeptes d’autres religions, dont les juifs et les musulmans, pourraient bénéficier eux aussi de la Rédemption et donc être sauvés, il est emprisonné. Il échappe des prisons de l’Inquisition romaine en 1559 à la faveur d’une émeute populaire. Il se réfugie d’abord en France, puis en 1562 en Moravie, de là on le retrouve au collège de Kolozsvar dans les années 1573-1574. Par la suite, il bénéficie de la protection de Jetrich (1545-1582), seigneur de Kunovice, et s’installe à partir de 1576 à Cracovie, en Pologne à part quelques brèves périodes où il est à Hluk en Moravie (actuelle partie orientale de la République tchèque). Mais en décembre 1581, il est arrêté à l’instigation de l'évêque d'Olomouc, Stanislav Pavlovsky II. Il est extradé vers Vienne, puis envoyé à Rome où il est condamné à mort pour hérésie en février 1583. Il échappe au bûcher en faisant repentance publique, mais il est finalement décapité le 22 mars 1585 et son corps sera brûlé le lendemain sur le Campo dei Fiori.
contemporain du débat sur le culte de Jésus
N. Paruto enseigne et écrit. Malgré ses nombreux déplacements, il a toujours pris soin d’avoir un niveau suffisant de confort afin de disposer d’une riche bibliothèque personnelle. Il a écrit de nombreux ouvrages, malheureusement perdus, dont un catéchisme. C’est sans doute à cette époque qu’il rédige son œuvre majeure " De uno Vero Deo Jehova Disputationes " (que les Editions unitariennes de Milan viennent de republier en traduction italienne en novembre 2012, lien). Ce livre, cité par Sandius (Vidend. Sandii B.A. pp.25, 23, 29. Bock, Hist. Ref. Pol. L. Ii. C. i. P.40. Wolfi Bibl. Hebr. T.I., p. 642.), est imprimé par John Carzanski à Losk, en Lituanie, en 1578). Le site italien Eresie mentionne aussi 11 thèses contenues dans un second ouvrage « Theses de trino et uno Deo » qui aurait été imprimé auparavant par le lituanien anti-trinitaire Szymon Budny en 1575.
En 1574, N. Paruta adresse une lettre à Stanislaüs Lutomirscius, superviseur de l’Eglise antitrinitaire de Pologne, à propos du baptême. Il s’y montre favorable à ce que tous ceux qui sont admis au sein de cette Eglise soient baptisés afin de prévenir toute conséquence mauvaise, mais sans toutefois aller jusqu’à l’idée que ce rite soit nécessaire au salut.
Ndlr – s’agit-il là simplement du baptême ou bien de re-baptiser les chrétiens venus d’autres Eglises où le pédo-baptême est pratiqué ? On sait que Faust Socin ne sera jamais membre de cette Eglise, bien que théologien à son service, car il gardera son baptême initial.
Il est avec Matthieu Vehe au collège de Kolozsvar lorsqu’éclate en 1578 le funeste confit entre Georges Biandrata et Ferencz David. En mars 1578, Georges Biandrata (lui aussi médecin et théologien italien) fait venir Faust Socin pour convaincre l’évêque unitarien Ferencz David de la nécessité de maintenir le culte à Jésus, celui-ci ayant été élevé par Dieu après sa mort. C’est là une page sombre qui se terminera par l’emprisonnement du premier évêque transylvain et sa mort au cachot de la forteresse de Deva en novembre 1579 ( lien).
Les idées de l’évêque hongrois sont partagées par plusieurs anti-trinitaires de l’époque, entre autres le Lituanien Szymon Bundy, Matthieu Vehe, le Paléologue, et N. Paruta lui-même, etc. Il est parfaitement erroné de présenter Ferencz David comme un être instable, changeant d’idées, novateur isolé. Il épouse au contraire le mouvement réformateur de son époque où la réflexion théologique a rapidement glissé vers des positions aujourd’hui admises par la plupart des chrétiens unitariens actuels. Au XVIIIème siècle, on assistera d’ailleurs en Angleterre au même glissement, les unitariens se séparant sucessivement des ariens, puis des sociniens.
Il meurt peu après les évènements, probablement en 1581 à Nagyenyed (nom hongrois de la petite ville actuelle d’Aiud, au sud de Torda) où il avait une maison.
Christian Francken arrive au collège de Kolozsvar, après les évènements tragiques que nous venons d’évoquer et après la mort de N. Paruta, une première fois en 1585, puis de 1589 à 1591.
Christian Francken est un Allemand né vers 1550 à Gardelegen, en Saxony-Anhalt. Il devient jésuite et enseigne au collège jésuite de Vienne. Il quitte sa fonction en 1577 et, étant acquis à l’anti-trinitarisme, cela lui vaut une vive polémique avec les calvinistes (par exemple avec le huguenot français François Du Jon en 1584). Il est arrêté en Pologne, se réfugie en 1585 en Transylvanie, auprès des anti-trinitaires de Kolosvar, repart à Prague où il est en 1587 – il y est présenté au mathématicien et astronome gallois John Dee -, puis revient à Kolozsvar (1589-1591). Il publie deux nouveaux livres à Prague en 1592, mais lors d’un voyage en Italie en 1598, il est arrêté et sans doute mis à mort vers 1610. Son nom est mentionné dans un document de l’Inquisition daté de 1611.