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le calice des unitariens

chaque communauté unitarienne arbore un blason ou un logo. Voici celui des unitariens qui sont regroupés au sein de l'Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens (AFCU). Voir sur son site à la rubrique "le calice des unitariens"
http://afcu.over-blog.org/categorie-1186856.html


 

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17 mai 2013 5 17 /05 /mai /2013 13:36

La Révocation de l'édit de Nantes (1598) fut l'acte de naissance d'une seconde Réforme, en 1685. Je l'ai expliqué lors du troisième centenaire en 1985 dans la Revue des études théologiques et religieuses de Montpellier. Elle s'est faite autour de l'idée symbole, inscrite dans l'édit violé par la Révocation, de la  Liberté de conscience. Ce n'était plus l'héritage des Réformateurs. Théodore de Bèze, je l'ai déjà dit, considérait la liberté de conscience comme un "diabolicum dogma". C'est lui qui présidait en 1571 le confession_de_foi_de_la_rochelle_medaillon_commemoratif_15.jpgsynode où fut officialisée la confession de foi de La Rochelle, et, avec celle-ci le symbole d'Athanase et des articles 39 et 40 que bien des calvinistes sincères voudraient effacer de nos mémoires. Parlons plutôt des Psaumes, notre plus véritable patrimoine, dû lui aussi en grande partie à Théodore de Bèze, connus, traduits et chantés dans l'Europe entière. Avec la Bible qui servait aussi comme manuel de lecture élémentaire, ils ont accompagné les familles pendant un siècle dans le silence de la clandestinité, un silence médiatique brisé rarement par quelques procès retentissants. La communauté protestante n'a pas témoigné envers Voltaire d'une gratitude à la mesure de son engagement dans l'"Affaire Calas". Aujourd'hui encore cette "Affaire" est bien moins connue que l'"Affaire Dreyfus".
Illustration : médaille commémorative en 1859 du tricentenaire du synode de la Rochelle (1559), premier synode des Réformés en France.

Voltaire passe pour antireligieux, comme les encyclopédistes, même dans l'opinion protestante. Nous avons vu comment travaillait Louis de Jaucourt, dans une cave, et d'ailleurs ses articles de religion dans l'Encyclopédie ne scandaliseraient nullement un lecteur unitarien, ou, mieux encore, un lecteur non prévenu. Quant à Voltaire, que connaissait-il du protestantisme de France ? Certes pas l'humble pratique de la Bible et des Psaumes, mais bien l'héritage des querelles de synode sur la prédestination. Quel tort ne nous ont-elles pas fait ! Et pourtant, il est vrai que la confiance en la prédestination, la vraie, donna le courage indispensable, et parfois surhumain, qui sauva l'existence même de la communauté protestante. Qu'est-ce que la prédestination, sinon un regard vers le passé. Voyez l'Histoire, la grande, ou la vôtre, l'intime. Comptez les bienfaits de Dieu ! Vous abandonnerait-il MAINTENANT ? Tenez bon ! REGISTER. Ce mot gravé de la Tour de Constance, attribué à une modeste Ardéchoise qui fut détenue pendant 38 ans, a pris valeur de symbole dans nos mémoires, et parfois de mot d'ordre dans nos comportements.


Avec la Liberté retrouvée, il convient de garder, au moins pour nous, ces souvenirs du passé. Mais une ère nouvelle commence, et nous ne souhaitons à personne d'autre de vivre un tel passé. Tel est le témoignage que va rendre le protestantisme à l'aube du XIX°siècle. La société française le découvre enfin tel que la seconde Réforme l'a durement sculpté. C'est une Réforme par le peuple, sans réformateur. On n'ose imaginer ce que nous serions devenus sans les terribles coups de fouet que furent les dragonnades. Mais les circonstances vont encore nous servir, par un nouveau coup de fouet : l'abbé de La Mennais, et son Essai sur l'indifférence en matière de religion (1817). Cette brochure ouvrait une série qui révélait un beau talent d'écrivain, mais contenait des attaques aussi venimeuses qu'adroites, et pour tout dire un portrait caricatural du protestantisme. L'avocat de la défense fut le pasteur Samuel Vincent, de Nîmes.

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17 mai 2013 5 17 /05 /mai /2013 13:16

A vrai dire, Samuel Vincent n'avait aucune envie de livrer bataille. C'était un esprit que nous dirions aujourd'hui oecuménique. S'il parla, ce fut à la suite de sollicitations nombreuses, et non sans mainte précaution de langage, dans ses Observations sur l'unité religieuse (1820). «  En général, tous les raisonnements de M. de la Mennais se réduisent à ceci : il serait fort avantageux d'avoir une religion fondée sur une autorité permanente et infaillible » (préface, p. IV). Tout est dit, et s'annonce déjà tout le débat du siècle, aussi bien pour le protestantisme de France que pour l'Eglise catholique. Il s'achèvera avec Auguste Sabatier, que nous verrons plus loin. De même, il écrit : « En terminant cette préface, j'éprouve le besoin d'exprimer mon admiration pour l'ouvrage que j'ai combattu. Il y a des chapitres entiers que j'ai lus avec ravissement. Ah ! pourquoi faut-il qu'un talent si beau se consacre aussi souvent à diviser et à aigrir, au lieu de réunir, d'adoucir et d'instruire ! » (p. VIII).


Samuel-Vincent.jpgPortrait de Samuel Vincent (1787-1837). A lire : « Le Pasteur Samuel Vincent À L'aurore De La Modernité 1787-1837 : Actes du colloque Samuel Vincent, 21-22 septembre 2003 » publiés en 2003 par la Société d’histoire du protestantisme de Nîmes et du Gard, 355 p.


Après cette brochure à la dimension d'une controverse, on attendait l'oeuvre. Elle sera double. D'abord, lancement d'une revue théologique d'une étonnante modernité, dès 1820 : les Mélanges de religion, de morale et de critique sacrée. Le centre de la publication est Nîmes. Mais il y a des représentations en librairie à Paris, Genève, Lausanne, Neuchâtel, Londres, Strasbourg, Leipzig, Hambourg, Francfort, Montauban, Lyon, et Valence. Autrement dit, c'est une revue d'envergure européenne. A lire le programme, on se croirait - format d'impression à part - devant les actuelles revues de Strasbourg et de Montpellier. Et il faut saluer, en particulier, l'énorme et remarquable travail constitué par la revue des livres à chaque livraison. Toute la littérature théologique européenne, allemande en particulier, est offerte à la connaissance d'un peuple protestant français terriblement isolé jusqu'ici.


L'autre partie de l'oeuvre viendra en 1829. Du Protestantisme en France. Le ton est donné d'emblée. « Une ère nouvelle commence pour les protestants français. Solidement établis sur les bases mêmes de la constitution de l'Etat ; protégés par un roi religieux mais tolérant ; possédant déjà les principaux établissements nécessaires à leur culte ; pouvant légitimement espérer que les autres ne se feront pas longtemps attendre ; voyant des temples s'élever partout et de nouveaux pasteurs accordés à leurs églises, les protestants, rassurés sur leur avenir, peuvent et doivent reprendre cette vie intellectuelle et religieuse que tant de persécutions avaient arrêtée. Jamais, depuis l'édit de Nantes, époque ne parut plus favorable... » (p. 1 ; nous citons d'après la réédition de 1860).

 
Ainsi, dans le cadre des lois nouvelles, nous avons la liberté, et cette Loi, de par notre tradition même, signifie La liberté. Nous pouvons nous montrer publiquement tels que nous sommes dans le fond. Certes, nous n'avons pas l'égalité politique. Mais ce n'est plus l'arbitraire du pouvoir. Nous pouvons vivre et travailler, et la seule vraie difficulté sera de nous y habituer, d'avoir confiance. Cette difficulté est en nous-mêmes, (p. 2) et des ferments de discordes intérieures sont semés çà et là par le mouvement religieux, auquel nous devons d'être réveillés enfin de notre longue léthargie.


Les attaques de La Mennais ne seront pas oubliées, mais pour mesurer le retentissement de ce livre, rien n'atteint l'effet produit sur La Mennais lui-même. La Mennais a changé. En 1834, il publie les Paroles d'un croyant, qui seront condamnées par la Hiérarchie. Le talent reste, le succès de librairie également, et c'est par ce dernier livre, si "hérétique" soit-il, que toute une aile marchante et sympathique du catholicisme se réclamera de lui.

 
Où sont les unitariens ? Samuel Vincent en est un sans le savoir, ou sans le dire. Mais ce serait, dans un peuple forgé sous la persécution, une parole de scission. Tout est dit dans la formule adressée à La Mennais : « réunir, adoucir, instruire ». Les mots arien, ou unitarien, viendront de l'autre camp, celui qui réclame les confessions de foi du XVI°siècle. Mais laissons parler Vincent lui-même : (p. 13) C'est notre amour pour l'Eglise protestante qui seul est notre mobile. Nous allons exprimer nos vues, avec franchise et simplicité. D'autres sont mieux placés que nous pour bien voir. S'ils avaient parlé, nous nous serions tu. Et maintenant encore nous sommes prêt à redresser nos opinions sur les avis qui nous seront donnés avec bonne intention et sincérité (...) (p.14) Pour moi, et pour beaucoup d'autres, le fond du protestantisme, c'est l'Evangile ; sa forme, c'est la liberté d'examen. (...) On a violemment reproché au protestantisme d'être ce que je viens de dire : et quelquefois ses amis ont la faiblesse de l'en défendre. Pour moi, j'accepte le reproche, et j'avoue qu'il m'est difficile de concevoir autrement le protestantisme. Et non-seulement, j'ai peine à le concevoir autrement, mais encore, c'est parce que je le conçois ainsi que je l'aime.(...)

 

(p. 15-16) Le protestantisme excite aujourd'hui un haut degré d'intérêt dans tous les pays de l'Europe et de l'Amérique. De grands talents s'y rattachent. Ceux qui ne passent pas dans son sein le respectent ; beaucoup l'aiment et voudraient l'embrasser. Mais d'où viennent cette considération et cet intérêt ? Quelle en est la véritable source ? Est-ce la confession d'Augsbourg ? Est-ce la formule de Concorde ?* Est-ce la confession de foi de La Rochelle ? Personne n'y songe ; et les protestants eux-mêmes connaissent à peine ces pièces dès longtemps oubliées. C'est comme  les défenseurs et souvent les martyrs de la liberté de conscience et d'examen que l'on aime et que l'on respecte les protestants. C'est quand ils se sont montrés tels, qu'ils sont honorés aux yeux des hommes, dont ils ont accru les lumières, relevé la dignité et préparé le bonheur. S'il prenait fantaisie aux protestants de n'être plus que les champions de la confession d'Augsbourg, de celle de La Rochelle, et de tant d'autres qu'ils ont faites, tout le monde leur tournerait le dos, et eux-mêmes ne seraient plus qu'un corps imperceptible, privé de chaleur et de vie.(...)
* Note de Samuel Vincent : la formule de Concorde (1580) est l'expression la plus scolastique du luthéranisme le plus étroit.


(p. 20) ; à propos des discussions dogmatiques [ndlr – entre autres sur le nestorianisme lors du concile d’Ephèse de 431 et sur le monophysisme lors du concile de Chalcédoine de 451] : On commence par disputer sur la nature divine du Sauveur des hommes, sujet bien légitime d'une généreuse curiosité ; mais quand il est décidé qu'il est Dieu, l'on songe qu'il a paru sur la terre avec la forme humaine, et l'on se demande si cette forme n'était qu'un corps habité par la divinité, ou si c'était un homme tout entier auquel Dieu s'était joint. Quand il est statué que les deux natures étaient complètes en Jésus, et quand les partisans de l'autre système sont exclus à leur tour, on se met à réfléchir encore, et l'on commence à craindre que ces décisions ne fassent de Jésus deux êtres distincts. Entraînés par ces craintes bien naturelles, quelques uns pensent et disent qu'en Jésus se trouvent bien en effet les deux natures, mais qu'entre elles deux, elles n'ont qu'une volonté. Nouveaux débats terminés par une nouvelle décision qui amène une scission nouvelle, et par laquelle il reste réglé qu'en Jésus les deux natures étaient complètes, et qu'il avait par conséquent deux natures et deux volontés ... Arrêtons ici. Le lecteur peut savourer la spirituelle ironie de l'auteur, qui n'ira pas plus loin dans ce sens.

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17 mai 2013 5 17 /05 /mai /2013 12:41

Nous ne nous étendrons pas sur les débats dogmatiques. Ils ont provoqué des disputes parfois féroces entre les orthodoxes, partisans des confessions de foi du XVI° siècle, et les libéraux qui contestaient leur autorité, les trouvant dépassées. Lucien des Mesnards, évangéliste résolument orthodoxe, émettait le voeu, dans son journal Le Témoin de la Vérité, qu'on pût être un "orthodoxe aimable"...

 
Pour la plupart, l'identité protestante ne repose pas sur des doctrines, mais sur un ensemble de souvenirs respectés dans les familles, souvenirs souvent douloureux. Parmi bien d'autres, le souvenir de Louise Morin surnommée la Maréchale à cause de sa distinction, de Beaufort-sur-Gervanne, près de Crest. Surprise dans une assemblée dénoncée par le curé de Beaufort, elle ne put s'enfuir, car elle tenait un bébé dans les bras. Détenue pendant 15 jours à la Tour de Crest, elle fut condamnée à être pendue devant sa maison, à Beaufort. Etant au pied de l'échelle, elle demanda la permission de donner le sein à son enfant, pour une dernière fois, et l'obtint. Quand ce fut fini, elle remit le bébé à une nièce qui était là, dans l'assistance, puis elle monta sur l'échelle "en chantant les louanges de Dieu"... Passé 1900, on montrait encore, à Beaufort, la poutre qui sortait du mur, devant sa maison. L'essentiel de cette Eglise, pour Samuel Vincent, c'est qu'il l'aime. L'essentiel n'est pas d'en détenir les clés du pouvoir, mais la liberté reconnue, pour chaque individu ou communauté qui s'y rattache, d'exprimer sa foi comme il l'entend. On dira de lui qu'il est un libéral.


Cela dit, le courant libéral français fut bien représenté, et tout d'abord dans un domaine capital, celui de la haute culture théologique. Albert Réville a compté, dans le fichier de la Bibliothèque nationale à Paris, plus de 600 références. Dans la recension de la biographie d'Ernest Renan écrite par M. Van Deth, que le lecteur peut trouver dans La Besace des unitariens ( lien), sont indiquées ses relations érudites avec Renan, et l'estime témoignée par ce dernier pour son Commentaire de l'Evangile selon saint Matthieu. La science a progressé depuis 150 ans, mais la datation vers les années 80 de cet évangile par Albert Réville reste dans les ordres de grandeur admis.

 

Il faut mentionner aussi les rédacteurs de la Revue de théologie de Strasbourg : Edouard Reuss, Michel Nicolas, Timothée Colani, pour s'en tenir aux principaux. On ne leur a pas toujours témoigné une estime à la mesure de leurs mérites, pour une raison simple : c'est que s'ils admiraient les théologiens de l'Allemagne, la réciproque n'existait pas.


auguste_sabatier_par_bernard_reymond.jpgAuguste Sabatier - Un Théologien À L'air Libre (1839-1901), par Bernard Reymond, 2011, Genève, Labor et Fides,

 

Il faut enfin une mention spéciale pour le dernier d'entre eux, Auguste Sabatier, généralement considéré comme libéral, un peu malgré lui. Son livre le plus connu est l'Esquisse d'une philosophie de la religion (1897, réédition en 1911). Il eut un temps de célébrité en France et à l'étranger, notamment aux Etats-Unis et en Italie, grâce en partie à son homonymie avec Paul Sabatier que l'on croyait être son parent proche. Un admirateur éminent fut Nathan Söderblom, futur archevêque d'Upsal, qui le traduisit en suédois. Ce livre a suscité divers travaux d'analyse parmi lesquels on doit retenir ceux de Jean Deprun (1966) et de Bernard Reymond (1976). Les lecteurs unitariens y trouveront leur miel avec l'évolution du dogme trinitaire dans l'Histoire. Malgré toutes ces références, je ne pense pas que ce livre nous donne la trace la plus novatrice d'Auguste Sabatier dans l'Histoire religieuse. Son dernier grand livre, posthume, est Les Religions d'autorité et la Religion de l'Esprit (1904, réédition en 1956). Auguste Sabatier y déploie une immense érudition qui ne se trouve pas dans Samuel Vincent, et l'initié peut même y voir, entre les lignes, l'écho des disputes du siècle qui ont divisé les protestants. Mais la  thèse fondamentale sur la frontière qui existe entre La religion de l'Esprit et Les religions d'autorité est tout aussi clairement exposée chez Samuel Vincent.


L'ouvrage le plus novateur d'Auguste Sabatier reste pour nous sa thèse de 1870 soutenue à Strasbourg, L'apôtre Paul, esquisse d'une histoire de sa pensée. Le mot important, c'est l'histoire, avec sa notion d'évolution. La pensée de Paul a évolué sous l'effet des circonstances. Les conséquences de cette découverte étaient dévastatrices pour l'édifice dogmatique de la théologie chrétienne, et sans doute dépassait-elle même en cela les intentions de l'auteur. D'autres s'en chargèrent pour lui. On en fit une "théologie de l'évolution", comme s'il s'agissait d'un système à la mode, pris dans l'air du temps. La notion même de Parole de Dieu était atteinte. Il ne serait donc plus possible au prédicateur de s'appuyer sur une parole biblique, prise comme texte de la base révélée, pour s'adresser à l'assemblée des fidèles. Pour un dogmaticien, c'était aussi grave que Newton excluant Dieu des lois de la Nature. Sans entrer dans les péripéties parfois douloureuses de cette contestation, résumons quelques faits de cette évolution dans la pensée de saint Paul.


- Le premier problème théologique de l'Eglise chrétienne fut que le Jugement dernier, plus ou moins lié au rétablissement du royaume d'Israël sur la terre, tardait à se manifester. (Actes I, 6) Paul n'est pas encore là.
- Le retard se confirme, et les premiers chrétiens meurent. Or, tous espéraient éviter cette épreuve. Là, Paul répond que, au son de la trompette annonçant le Messie et le Jugement, les morts monteront les premiers. Après quoi nous, les vivants, nous nous envolerons sur les nuées pour les rejoindre auprès du Seigneur (1 Thessaloniciens 4, 16-17).
- Encore des retards, et des morts, des malades... Mais c'est aussi votre faute. Quand vous célébrez le repas du Seigneur, chacun mange ses provisions à part, sans se préoccuper des autres. C'est à cause de cela ! J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné : c'est que le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré (1 Corinthiens 11,17-23). Et c'est l'inoubliable passage que tout chrétien entend lors de la communion.
- Un drame s'est produit. Paul a compris qu'il devrait, lui aussi, mourir un jour. Peut-être lorsqu'il a été livré aux bêtes (1 Cor 15, 32). Mais l'essentiel, alors, c'est la foi à la Résurrection. Pas évident... Difficile à croire ! Mais enfin, Grecs, vous y croyez plus que vous ne le dites. La preuve, c'est que vous vous faites baptiser pour les morts (v. 29). (Comprenons que des convertis, voyant des êtres chers disparaître sans avoir obtenu le baptême, demandaient des procurations pour le ciel) Mais sous quelle forme, dites-vous ? C'est vrai qu'il faut un corps, mais il y a différentes sortes de corps : les corps à quatre pattes, les corps d'oiseaux, les corps de poissons, les corps terrestres, les corps célestes, et finalement les corps ressuscités qui ont la propriété d'être incorruptibles et spirituels, comme celui du Christ. Tout cela nous arrivera d'un seul coup au son de la dernière trompette (C'est dur.  Paul prend les arguments qu'il peut, dans tout ce chapitre 15 de 1 Corinthiens). A ce drame s'en est joint un autre : ses fidèles ont failli l'abandonner. Cette épreuve traverse toute la 2ème aux Corinthiens.
- Paul s'est habitué à cette idée qu'il allait mourir. Mais après tout qu'importe. Christ est bien mort lui aussi. Si son esprit est en moi, j'ai l'essentiel, que je sois vivant ou que je meure. Chrétiens, nous sommes déjà citoyens des cieux.


Tout cet achèvement se développe au cours de la dernière épitre sûrement authentique de saint Paul, l'Epître aux Philippiens. On voit qu'elle n'a rien d'une spéculation dans un bureau et devant sa feuille de papier. Chacun de nous fut jeune un jour, et vieillira jusqu'à ce que vienne la mort, après des joies et des douleurs. C'est l'exemple même de Paul, de sa lutte pour faire partager à d'autres sa foi, qui sera désormais notre Parole de Dieu. D'une petite communauté groupée autour d'une illusoire fin du monde libératrice à Jérusalem, Paul a tiré pour les Juifs et les non-Juifs, donc à la dimension de l'Humanité entière, une manière de donner un sens à la vie qui traversera les siècles.


Auguste Sabatier a tenté une analyse du même ordre concernant la vie de Jésus, avec moins de succès, mais aussi des sources moins abondantes. Albert Schweitzer eut une opinion très négatives sur les essais de Vie de Jésus. Pourtant, le procès et la Passion de Jésus sont accessibles à l'analyse historique. D'autre part, les connaissances relatives au contexte palestinien contemporain font régulièrement des progrès. La difficulté majeure est, pour les passages qu'on peut dire historiques, de les situer dans une chronologie, et de situer des paroles d'enseignement dans cette chronologie.

 
Mais, cela dit, deux évènements autres que la Croix peuvent être considérés comme bornes milliaires dans la vie de Jésus. L'un, apparemment quand il vient de choisir ses douze apôtres, et que sa famille l'a cru fou (Marc, 3, 21). L'autre quand il chasse les marchands du Temple à coups de fouet (Jean 2, 15). On a le droit de penser, pour l'un, que Jésus agissait pour la première fois en tant que Messie. Quant à l'autre, il apparaît aux autorités romaine et juive comme un scandale public, à réprimer. Donc ce scandale doit être le point de départ de l'Affaire Jésus. Vouloir nier tout essai de classement chronologique par rapport à ces deux faits, cela paraît surtout lié à la volonté de privilégier deux évènements qui, eux, n'entreront jamais dans aucune chronologie : la conception virginale et les scènes au Sépulcre sur la Résurrection - auxquelles saint Paul ne fait jamais la moindre allusion. Autrement dit, même si les données sont insuffisantes pour une biographie en bonne et due forme, les recherches historiques sur la vie de Jésus restent bel et bien à l'ordre du jour. D'ailleurs, vulgarisation ou érudition pointue, voire farfelue, elles suscitent toujours le plus vif intérêt dans le public.


A. Sabatier reçut un renfort idéologique de grand poids dans sa vision de la Révélation par le témoignage de l'Histoire, avec son illustre homonyme Paul Sabatier. Celui-ci, avec sa Vie de saint François d'Assise (1893), et plus encore avec les trouvailles qui suivirent et confirmaient la base documentaire de la biographie du saint, apportait aussi le même témoignage d'une biographie scientifique. Là encore, le fait nouveau est que le message est porté non par les reliques, les récits de miracles, ou quelques paroles isolées, mais qu’il est contenu dans l'aventure entière d'un homme voué à l'imitation du Christ, à travers des épreuves qui l'ont partiellement brisé, voire mené aux limites de l'hérésie, mais finalement tenace jusqu'à la mort. Les deux Sabatier n'étaient pas d'accord en tout, mais ils se sont compris et aimés.


Je ne suis pas surpris, écrit Auguste à Paul, mais très heureux de la découverte que vous m'apprenez, et de la nouvelle confirmation que les archives viennent de donner de l'excellence de votre méthode historique. Les faits littéraires, une fois constatés, sont aussi positifs que tous les autres, et ils se relient avec d'autres faits qui finissent par se découvrir quand la chose est possible. Cela me donne du courage et de la joie dans la même méthode de critique littéraire que j'applique aux premiers documents du christianisme (14 janvier 1899, arch. Urbino).


Un chemin nouveau se dessine à l'approche du XX°siècle : nous arrivons au temps des biographies. Voyez comme elles fleurissent aujourd'hui, et comme elles intéressent. Le fait nouveau, c'est que les saints ne sont plus parfaits. Paul ne l'était pas. Newton eut ses petitesses. C'est le triomphe des archivistes !


Et le débat sur la Trinité ? il n'en est plus question. C'est un débat d'arrière-garde. Samuel Vincent le croyait déjà, trop tôt peut-être. Mais le temps des libéraux pourrait revenir avec quelques rééditions. Je rappelle cette autre grande biographie, de Sébastien Castellion par Ferdinand Buisson, 1892. Il suffit de tomber sur les écrits d'un Coquerel, par exemple, pour constater à quel point il a peu vieilli, et en tout cas beaucoup moins que ... d'autres. Ils sont tous unitariens de fait, sans le dire.

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17 mai 2013 5 17 /05 /mai /2013 12:07

Les circonstances n'ont pas permis aux libéraux français de se disputer comme en Transylvanie au XVI°siècle pour savoir s'il fallait, ou non, adorer le Christ Jésus. Le drame d'un Ferenc David, enfermé pour avoir opté en faveur de la négative, leur a donc été épargné. Mais on peut neutraliser un gêneur aujourd'hui sans l'enfermer, et c'est ce qui va se produire en France. Tous les "non-adorants" sont exclus de la mémoire protestante française, même s'ils ont laissé leur trace ailleurs. La division est dans la logique de la liberté chaque fois qu'il y a des enjeux de pouvoir. L'Autorité, depuis l'empereur Constantin, exige l'unité doctrinale, et donc La religion de l'Autorité, y compris dans le protestantisme ainsi que le montrait déjà Samuel Vincent, pressentant le danger à venir.

 

theolib46.jpgLibre-pensée et protestantisme libéral. Autour de Charles Wagner et Ferdinand Buisson - Théolib 46

Cette division est exprimée en France par deux interprètes éminents, amis et adversaires, Ferdinand Buisson, et Charles Wagner, dans un livre commun : La Libre pensée et le Libéralisme protestant (1903). Pour Buisson, la libre pensée est l'expression logiquement achevée de la Réforme protestante. Ceux qui persistent dans les formes de la piété traditionnelle manquent un peu de courage et de sincérité, surtout au niveau de l'enseignement religieux. Finies, les concessions pour l'unité. Il avait été un apôtre du protestantisme libéral. Les campagnes de dénigrement contre sa thèse sur Castellion (1892) l'ont convaincu que cette cause était perdue à terme. Le livre se vendit mal, et la plus grande partie de l'édition fut mise au pilon en 1932. Il eut une nouvelle fortune en Italie, avec Delio Cantimori, Eretici Italiani del Cinquecento (1939), où l'on retrouve son héros, rebaptisé Castellione...

 

Avec Buisson, signalons Jean-Jacques Kaspar. Ancien missionnaire à Madagascar entre 1901 et 1904, il s'est signalé par un talent et une ténacité incroyables pour sauver la vie à un pauvre Malgache d'Ambositra. Victime d'une dénonciation calomnieuse, ce Malgache risquait d'être fusillé. Qui connaît Madagascar à l'époque comprendra que Kaspar gênait tout le monde. Il ne revint pas à Madagascar après son congé en France. On le retrouve au côté de Ferdinand Buisson en 1907, comme secrétaire général de la Fédération de la Libre-Pensée. Puis il mobilise la France et l'Allemagne pour l'affaire Francesco Ferrer, aussi grave que l'affaire Dreyfus. Ferrer est un militant catalan de la Libre-Pensée qui sera fusillé au Monjuich à Barcelone, où se dresse aujourd'hui son monument. Après tout, Jésus ne fut-il pas la grande victime d'un meurtre judiciaire ?


On ne peut citer ici tout le monde. Mentionnons encore Félix Pécaut, fondateur de l'Ecole normale supérieure de jeunes filles de Fontenay-aux-Roses en 1880. Sa mémoire y fut vénérée.


Encore, Jules Steeg. Pasteur à Libourne, il fut traduit en cour d'Assises à Bordeaux en 1872 pour offense au culte catholique. Il avait commis un article dans son journal paroissial ridiculisant le dogme catholique de la transsubstantiation. Il se défendit lui-même devant la Cour. Si j'avais organisé une conférence ou un débat sur ce sujet, dit-il en substance, je n'aurais attiré personne. Mais, grâce à vous, je passionne un large public ! Avant de délibérer, le président lut le témoignage d'un évangélique contre Jules Steeg. Il ne répondit pas, et fut acquitté aux acclamations du public. On ne s'étonnera pas qu'il ait quitté le pastorat, après le synode national de 1872 et la montée du pouvoir "orthodoxe". On le retrouve aux côtés de Ferdinand Buisson et de Jules Ferry, créant l'Ecole publique obligatoire. Il est l'auteur, en 1884, du Cours d'instruction morale et civique, autorisé pour les écoles de la Ville de Paris. Ce cours contient des articles sur Dieu comparables à ceux de Jaucourt dans l'Encyclopédie. Le grand service public de l'Enseignement laïque sous la Troisième République est né dans ce petit cercle, et il n'était pas antireligieux. Steeg déclara  un jour : « Je me sens plus que jamais, à travers tout cela et en cela, pasteur protestant. Je ne perds pas de vue "la seule chose nécessaire" bien qu'il soit impossible de la présenter directement à notre peuple. A Paris, à Lausanne, je serais resté théologien. Ici, et dans toute la France, il faut aborder le problème autrement. Je n'aurai pas perdu mon temps si je parviens à créer un foyer de vie politique, morale, intellectuelle, qui rayonnera sans moi, après moi. Peut-être ne parviendrai-je à rien du tout. C'est bien possible. Mais, du moins, j'aurai tenté ». (Cit. F. Buisson. La foi laïque, Paris 1912, p. 65). L'oeuvre de tous ces protestants éminents a été effacée même de la mémoire protestante.

 
Après une évocation des "non-adorants" qui ont quitté l'Eglise protestante, parlons de ceux qui sont restés. La réplique de Charles Wagner est une défense émouvante et éloquente. Wagner reste un des plus authentiques représentants du libéralisme protestant. La foi s'appuie sur des liens affectifs puissants. Tous les témoins cités plus haut sont allés vers la Libre-Pensée, qui se proclame indépendante de toute Eglise, à la suite de scandales qui les ont personnellement atteints. Sont restés pasteurs d'une Eglise ou bien chrétiens confessants ceux qui n'ont pas ressenti de scandale. Ils ont été retenus par les grands souvenirs anciens, et par des liens affectifs comme la vie réelle en impose parfois. Ils ont eu la confiance que leur dévouement à l'unité serait reconnu pour ce qu'il était, et non pour l'aveu de leurs erreurs. L'appui positif de la foi chrétienne, et l'on peut dire rationnel, ce sont les faits incontestables de l'Histoire biblique et surtout évangélique. C'est encore dans l'Histoire que la foi chrétienne trouve son appui le plus sûr.


Avec Wagner, mentionnons le pasteur Xavier Koenig. En 1902, il est le principal orateur des Conférences évangéliques libérales. Il s'agissait du problème de l'Histoire sainte et de son enseignement. De l'absolue sincérité due aux enfants. L'année suivante, en novembre 1903, c'est la Conférence évangélique (orthodoxe) de Bordeaux, avec 500 participants. Le principal orateur, sur le même problème, est le pasteur Adolphe Causse. S'appuyant notamment sur des autorités orthodoxes reconnues, telles que le professeur Alexandre Westphal, il développe lui aussi le thème de la sincérité due à des enfants confrontés tous les jours à l'agressivité d'une laïcité antireligieuse militante. La Création en sept jours ridiculise à leurs yeux pasteurs et moniteurs qui s'y obstinent. Et il fait approuver à l'unanimité une motion recommandant les manuels de Xavier Koenig... et que l'Autorité n'approuva point. Il n'y eut aucune suite.  Si, tout de même. Peu de temps après, on apprend par le pasteur Jean Bianquis, secrétaire général de la Société des missions évangéliques, alors à Madagascar, que Xavier Koenig était candidat pour venir comme missionnaire à Madagascar. Et Bianquis déplore que Koenig soit refusé sur la seule décision du directeur des Missions. Il eût aimé travailler avec Koenig, bien plus qu'avec ... d'autres.


C'est ainsi que se réaliseront peu à peu, avec le temps, certaines hypothèses pessimistes de Samuel Vincent : Le monde leur tournera le dos, et ils ne seront plus qu'un corps imperceptible.

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17 mai 2013 5 17 /05 /mai /2013 11:47

Les liens affectifs peuvent permettre à une communauté de résister, et longtemps. Mais la liberté seule a le pouvoir d'attirer l'adhésion, jusqu'à la conviction et parfois le sacrifice de soi. Jean-Jacques Kaspar s'est découvert à Madagascar une magnifique vocation d'avocat dans la défense d'un malheureux a priori condamné. On pense à une variation sur la parabole de saint Matthieu, ch. 25, Quand tu as défendu l'un de ces petits, c'est MOI que tu as défendu. Mais la compassion ne fait pas de la victime un maître à suivre. C'est dans la vie et dans l'enseignement de Jésus qu'il faut trouver des raisons d'être chrétien. Il faut s'appuyer sur l'Histoire. A notre siècle de biographies, c'est vrai plus que jamais. L'autorité ne peut plus reposer que sur des convictions partagées, sur la confiance qu'engendre la sincérité. Dans cet esprit, quel est pour nous l'enseignement de Jésus ? Il est double.


Le premier point est l'exception à la Loi. Il ne s'agit nullement de contestation idéologique. Sa forme la plus précise se trouve dans Luc 6,4 : « Voyant quelqu'un travailler le jour du sabbat, Jésus lui dit : Homme, si tu sais ce que tu fais, sois béni. Mais si tu ne le sais pas, sois maudit, car tu transgresses la Loi ». Cette parole n'est pas dans tous les manuscrits. C'est le grand exégète Joachim Jeremias (Unbekannte Jesusworte, 1963, Paroles inconnues de Jésus) qui en a donné une étude approfondie, concluant à son authenticité. C'est dans ce contexte qu'il convient d'apprécier la déclaration de Jésus avant de guérir, un jour de sabbat, un paralysé de la main : « Il est permis de faire du bien les jours du sabbat » (Matthieu 12, 12). La Loi est une expression de la volonté bonne de Dieu, mais il est permis à l'homme, en allant dans le sens de la volonté même de Dieu, de chercher à faire mieux encore. Là est la liberté, et elle ne s'arrêtera même pas aux actions de Jésus. Il dit ainsi à ses proches : « Celui qui croit en moi fera aussi les oeuvre que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je vais au Père » (Jean 14,12).


Le second point est que l'essentiel n'est pas de professer la Loi, mais d'agir selon ce qu'elle ordonne. Tel est le sens de la célèbre parabole du Bon Samaritain (Luc 10, 30-37). Les Samaritains étaient les ennemis intimes des Juifs. Aussi, prendre comme exemple un tel fait divers n'a pas manqué de rendre Jésus suspect de trahison. On le lui dit même en face à l'occasion : « N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain, et que tu as un démon ? » (Jean 8, 48).  Le Samaritain joue ici, moralement, le même rôle que le Grec dans la pensée de saint Paul : il est le non-Juif. Notre frère est partout, dans le monde entier, s'il agit d'une manière comparable à ce qu'est pour nous l'Action bonne.


N'ayons surtout pas la prétention d'être les seuls à faire de ces deux points la base de notre religion : on la trouve exprimée avec talent dans le livre de Marek Halter, La Force du Bien (1995), et aussi sur la Colline des Justes à Jérusalem. On la trouve aussi dans les traditions de l'islam, et plus loin encore. Dans une lettre écrite en 1999, Jacques Proust, le grand spécialiste de l'Encyclopédie, devenu japonisant distingué, reconnaissait cette base, en particulier dans l'amidisme, inspiré du Bouddha Amida, dont le sanctuaire principal est à Kamakura au Japon. Maurice Leenhardt, autrefois, reconnaissait la valeur religieuse du pilou, une fête des Canaques de Houaïlou en Nouvelle-Calédonie.


maurice_causse_portrait_avi_01-04_2012.jpgEn sorte que, la vie étant limitée, il ne s'agit pas de vouloir nouer des relations avec tout le monde. Notre attachement à la communauté qui nous a fait naître est un attachement culturel. Il ne prétend à aucun monopole de la vérité, n'exclut pas non plus les "orthodoxes aimables". Quand on a reçu dans la foi protestante l'Evangile et la Liberté [ndlr – sans doute allusion à la revue de même nom], il n'est pas possible de renoncer à cet héritage. Mais on peut comprendre les attachements culturels des autres, connus ou inconnus, à leur propre héritage, et aussi les accueillir fraternellement s'ils viennent à nous.

 

Maurice Causse, avril 2012

 

Arius fut calomnié, et l'est encore, puisqu'en fait il croyait à la divinité de Jésus. Mais le débat a changé de nature. Auguste Sabatier fit un jour une leçon sur  les adieux de saint Paul aux chrétiens d'Ephèse (Actes 20, 17-37). Paul Sabatier, son homonyme, rapporte l'émotion des étudiants qui se retirèrent ensuite bouleversés dans leurs chambres (Le Protestant, 6 mars 1897). Ces chrétiens d'Ephèse ne sont pas très loin de nous. Adorer le Christ ou ne pas l'adorer. Si je tiens le Christ pour mon Maître, qu'importe le mot ? Nous sommes sortis du labyrinthe d'Athanase. 

                                                               
Maurice Causse, Filium Arianum, fil d’Arius, fil d’Ariane, Lormont, Noël 2012

Dédié à ceux qui ont préparé, rêvé, prédit, réalisé ou permis le Fil d'Or, jusqu'à ce jour

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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 03:41

Notre section consacrée à Michel Servet constitue en quelque sorte la réouverture d'un débat sur la Trinité que l'on croyait à peu près clos. Il l'est en Occident. Les aventures d'un Servet, d'un Castellion, peuvent susciter l'émotion ou inspirer quelques mouvements minoritaires, mais sans appuis politiques. Les institutions elles-mêmes ont toujours entretenu des rapports avec les pouvoirs civils par le fait même qu'elles ont une influence et des responsabilités.

 

Johannes-Gerhard.jpgPour l'histoire générale, il faut bien comprendre que la Réforme du XVI° siècle est un titre usurpé pour ce qui est du calvinisme, au contraire du luthéranisme. Il ne faut pas oublier que la théologie luthérienne orthodoxe a été fixée définitivement par la Confessio Catholica de Johann Gerhard (1637) et que le titre officiel de l'Eglise luthérienne est « catholique évangélique ». Il est passé en français par l'intermédiaire des Alsaciens de langue française tels que Jean-Frédéric Oberlin. Il a été popularisé dans le protestantisme français par le pasteur Tommy Fallot. L'idéal luthérien fut toujours de revenir à l'unité catholique avec Rome. Les principaux initiateurs du mouvement oecuménique protestant actuel eurent cet objectif essentiel et l'ont clairement exprimé, par exemple l'évêque épiscopalien Charles Brent, aumônier général de l'armée américaine en 1917-18, dans sa correspondance avec Paul Sabatier, le rénovateur célèbre des études franciscaines.

portrait de Johann Gerhard (1582-1637)

La situation calviniste est différente. Les Français se plaisent à souligner la logique de Calvin... En fait, si logique il y eut, elle s'est construite sur des situations contradictoires, comme le fut alors la politique française. Nous reparlerons des relations avec l'empire ottoman, qui auraient pu faire basculer toute la Réforme française vers l'arianisme, provoquant un soupçon d'hérésie chez les luthériens aussi bien que dans le catholicisme. Les disputes entre théologiens luthériens et calvinistes nourrirent les controversistes catholiques, tels François Feuardent. Dans son traité au titre éloquent : Entremangeries et guerres ministrales (1604, p. 351), il évoque longuement ce soupçon de la part des ministres luthériens :  « Le Mahométisme, l'Arrianisme et le Calvinisme sont frères et soeurs... »


Soupçon qui poussa les calvinistes à être particulièrement agressifs contre l'unitarisme, sans pour autant les libérer d'une situation de faiblesse dans leurs débats théologiques en face des luthériens. Mais le nom même de Réforme était ici trompeur. Calvin, dans son traité Contre la secte phantastique et furieuse des Libertins (1547, p. 121-122), considère comme un « point diabolique » de dire que « les Etatz sont bons, mais qu'il y a des vices à corriger », et qu'on peut réformer l'Eglise sans en sortir. Autrement dit, la Réforme calviniste est en réalité un schisme, s'affirmant comme la « véritable Eglise », et donc résolument trinitaire, en face de l' « Eglise contraire », la « Fausse Eglise », celle du Pape qualifié par Calvin d'Antéchrist. Cet héritage a pesé sur l'oecuménisme actuel. En fait, pour la France, avec son histoire religieuse tourmentée, les sentiments que nous qualifions aujourd'hui d'oecuméniques n'ont pas été inspirés par la théologie, mais, depuis le Siècle des lumières, le XVIII° siècle, sinon depuis toujours par le respect de protestants pour la piété des catholiques et le respect de catholiques pour une certaine authenticité morale protestante. On a pu parler à cet égard de syncrétisme, comme si l'unité chrétienne pouvait se définir sans son contenu dogmatique "objectif"... Disons que le fil d'Arius n'est jamais bien loin.

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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 18:44

L'histoire de France ne retient guère, des relations avec l'islam et l'empire ottoman, que les Capitulations de 1530 entre François Ier et Soliman le Magnifique, "nous donnant" le monopole de la représentation des intérêts catholiques dans l'empire ottoman. Ces privilèges faillirent sauter à l'occasion de la Guerre en 1914-18, mais se retrouvèrent, avec la victoire, au premier rang de nos préoccupations nationales. Elles provoquèrent même de vives tensions, avec l'Italie d'abord, laquelle élevait elle aussi quelques prétentions à représenter les intérêts catholiques, et ensuite surtout avec l'Angleterre. Celle-ci avait eu en effet le premier rôle dans la Guerre pour cette région, conquis Jérusalem, et tenait à conserver ses monopoles sur la Route des Indes. Mais la "politique arabe" de notre pays s'appuie encore sur la tradition de ces privilèges.


L'Histoire est devenue internationale. Des pionniers tels que Jules Isaac ont commencé à la construire avec les érudits allemands, et cet échange est à présent classique. On a plus de peine avec les Turcs. Or, dans le cours de l'Histoire, l'empire ottoman est par excellence le pays de la liberté de conscience, alors que les non-catholiques sont persécutés dans l'Europe chrétienne. Cette réalité majeure a été occultée parce que les chrétiens arabes ont de plus en plus mal supporté d'être citoyens de seconde zone, soumis à un impôt spécial, jusqu'à la fin de l'empire ottoman. Et comme c'était la France qui représentait principalement leurs intérêts, c'est leur point de vue qui s'est imposé en France. Le plus étonnant est encore que les protestants français aient, eux aussi, oublié la liberté de conscience de l'empire ottoman. Il est vrai que Théodore de Bèze la qualifiait de diabolicum dogma (Epistolae Theologicae I). Cette révision de l'Histoire est en particulier indispensable pour comprendre l'exception transylvaine et son importance pour suivre le fil d'Arius dans sa continuité historique : elle doit tout au voisinage ottoman.


La Réforme a survécu en Hongrie orientale sous sa forme calviniste et en Transylvanie sous sa forme unitarienne grâce aux péripéties des guerres ottomanes [ndlr – luthériens et calvinistes sont également présents en Transylvanie]. Comme chacun sait, les Turcs ont échoué devant Vienne. L'équilibre entre les grandes puissances permit au XVI°siècle d'établir en Transylvanie un pouvoir plus ou moins vassal de l'islam, avec Jan Zapolya et un régime de véritable liberté religieuse. Unitariens, calvinistes, luthériens, catholiques, y ont leur place. Repoussée de la Hongrie orientale, l'influence ottomane y permit pourtant le maintien d'une influence calviniste importante.


En Transylvanie le courant unitarien de la Réforme a pu survivre jusqu'à nos jours. Mais il convient, avant d'entrer dans quelques détails, de préciser la nature de l'influence ottomane. Le libéralisme religieux de l'islam a frappé les observateurs occidentaux, tels que le juriste Jean Bodin :
Les Arriens ont toujours depuis [le IVème siècle] continué et continuent encore en Asie et Afrique sous la loy de Mehemet, qui est appuyée sur ce fondement [arien, unitarien]. Le roy des Turcs, qui tient une bonne partie de l'Europe, garde sa religion aussi bien que Prince du monde, et ne force personne ; ainsi au contraire permet à chacun de vivre selon sa conscience : et qui plus est, il entretient auprès de son sérail à Pera quatre religions, toutes diverses, celles des Juifs, des Chretiens à la Rommaine et à la Grecque, et celle des mehemetistes, et envoie l'aumosne aux calogères, c'est-à-dire aux beaux-pères ou religieux du mont Athos Chrestiens, à fin de prier pour lui, comme faisoit Auguste envers les Juifs, auxquels il envoyait l'aumosne ordinaire et les sacrifices en Jérusalem (ed. J. de Tournes 1579, p. 453).


Nous ne pouvons ici entrer dans les détails. Mais qui veut approfondir étudiera les nombreuses éditions latines, presque toutes éditées à Francfort, surtout à partir de 1594, deux ans avant la mort de Jean Bodin, et après le couronnement du roi Henri IV, dont il soutient le pouvoir absolu fondé sur sa légitimité dynastique. Il y a des différences, et ces éditions latines sont truffées de citations en grec et en hébreu. Bodin est plus hardi en latin.


Le pouvoir ottoman eut même l'occasion de réfréner la hargne des calvinistes contre les unitariens, alors qu'eux-mêmes, en Hongrie orientale, devaient leur survie à la longue occupation temporaire des Turcs.


Nous empruntons l'essentiel de ce qui suit à George Williams, The Radical Reformation (éd. 2000, Kirksville p. 1 108ss). L'unitarisme, qui est la forme moderne de l'arianisme, apparaît en Hongrie orientale, sous pouvoir ottoman, vers 1560. Il est explicitement prêché en 1561 par Thomas Aran. Celui-ci se fait convaincre d'erreur à Debrecen par le surintendant calviniste Pierre Melius, mais il passe en Transylvanie et continue à y prêcher contre le dogme trinitaire. 

 

roumanie_regions_historiques.jpg

Cette carte de la Roumanie donne en bleu soutenu la province de la Transylvanie qui correspond à la Transylvanie proprement dite. Au XVIème siècle, la Transylvanie avait autorité plus à l'est sur le Banat (capitale Timesoara) et la province actuelle dénommée Crisana (capitale Oradea). Debrecen est dans l'actuelle Hongrie, à quelques kilomètres de la frontière. Jusqu'à la rivière Tisza, affluente du Danube, donc l'ensemble en bleue sur la carte, c'était la Hongrie orientale sous tutelle des Ottomans. Celle-ci était exercée directement par des pachas ou bien indirectement dans le cas de la Transylvanie qui était alors une principauté dirigée par un "vovoïde".

 

Intervient ici l'évêque luthérien de Transylvanie, Ferenc David, lequel, en tant que Luthérien, sentait déjà le soufre : sa conception de la Sainte cène, dite "sacramentaire", était plus proche de l'arianisme que de la conception catholique, fût-elle "évangélique", c'est-à-dire luthérienne. Aran et David s'entendirent, et la grande bataille commença. Le premier choc eut lieu à Nagysvarad (Oradea) en Transylvanie proche de Debrecen *, entre David et Melius, du 20 au 25 octobre 1569 [ndlr – ce n’est pas le premier choc ! car les "disputes" théologiques ont été organisées l’année précédente à Torda, Alba Iula et à Tirgu Murès et qu’elles ont donné naissance à l’Eglise unitarienne de Transylvanie en février 1568]. David présenta douze propositions anti-trinitaires. Melius les attaqua avec violence, au point que le roi, à l'époque Jean II Zapolya, lui-même resté catholique, intervint en déclarant qu'on ne devait pas forcer les consciences en religion.
* actuellement Debrecen est en Hongrie et Oradea est en Roumanie, juste de l’autre côté de la frontière et au sud-est, les deux villes sont distantes d’environ 70 km par la route. Les informations apportées ici par G. Williams portent sur la situation de cette région entre la Transylvanie proprement dite et la Hongrie restée indépendante et sous l’autorité des Hausbourg d’Autriche. Cette zone était sous autorité ottomane.

 

Sire, dit Melius, que votre Altesse m'entende, et vous tous ici présents ! Le Seigneur m'a révélé cette nuit de nouveau qui il est, et comment il est son véritable et propre Fils, auquel je rends grâce pour toujours ! Pasteur Pierre, répondit le roi. Si c'est cette nuit que le Seigneur vous a vraiment révélé qui il est, qu'avez-vous prêché auparavant ? Vous avez dû tromper tout le monde jusqu'à maintenant ! G. Williams, rendant compte de la scène, trouve que l'humour royal y allait un peu fort (p. 1115). Il reste que chaque parti tira ses propres conclusions du débat, celles du "Camp David" étant revues et corrigées par le roi, et fut scellée ainsi la rupture entre calvinistes et anti-trinitaires. Le terme d'unitariens date de 15 ans plus tard.


Ce grand débat marque le commencement des adhésions massives, en Hongrie et en Transylvanie, au christianisme de tendance unitarienne avec son organisation ecclésiastique [ndlr – sans doute pour cette région, car pour la Transylvanie proprement dite, c’est l’année précédente qu’il convient de retenir]. Mais non pas la fin de la guerre théologique. Il faut en particulier rappeler une véritable ordalie en champ clos en 1574, toujours à Nagysvarad (aujourd’hui Oradea), près de la frontière. Deux champions dans chaque camp ; les vaincus devant être pendus. Du côté unitarien, Luc Tolnaï et George Alvinczi. Williams ne donne pas les noms des champions calvinistes [ndlr – Pierre Melius Juhasz était mort en 1572]. Le camp calviniste étant déclaré vainqueur, Alvinczi fut pendu. Mais un riche unitarien proche du palais beylical protesta, et réclama la mort du responsable calviniste. Alors le pacha turc ordonna une dispute théologique en sa présence, entre calvinistes et unitariens. Il décida que l'exécution d'Alvinczi avait été inhumaine, et ordonna l'exécution de trois calvinistes, dont le surintendant. Les calvinistes demandèrent grâce, et les unitariens appuyèrent leur demande, en déclarant qu'ils ne désiraient pas se venger. Finalement, les condamnés s'en tirèrent avec une grosse rançon... et un impôt supplémentaire fut levé sur tous les chrétiens au bénéfice du trésor du Pacha.


La vague du mouvement unitarien devait pourtant s'arrêter, presque d'elle-même, par sa tendance à la division interne *. Après avoir nié la divinité de Jésus-Christ, une partie des unitariens trouva qu'il ne devait pas être objet d'adoration, les autres maintenant que si, en s'appuyant sur l'exemple d'Etienne priant au moment de mourir "Seigneur Jésus, reçois mon esprit" - On peut ici remarquer qu'au II°siècle, Tertullien appuyait déjà sur cette parole une conception pratiquement "binitaire" du culte chrétien.  Puisque le mouvement unitarien est toujours lié à la liberté des adhérents, les schismes y sont peut-être regrettables, mais ils ne doivent pas étonner *. Nous y reviendrons.

 

 * ndlr – hormis le drame qui entraîna la mort en prison de Ferencz David en novembre 1579 et provoqua une scission temporaire à Timisoara / Temesvar en hongrois, l’Eglise unitarienne de Transylvanie ne connut pas de scission. Dans une lettre ouverte,  Karádi Pál accusa l'Italien György Biandrata, Demeter Hunyadi (l'évêque successeur), et leurs suivants d'être responsables de la condamnation de Ferencz Dávid et devint évêque des congrégations de la partie Est de la Hongrie (dont le Banat), partie entre la Transylvanie proprement dite et la Hongrie sous domination des Hausbourg. Nous n'avons pas connaissance que  Karádi Pál ait eu un successeur pour continuer sa dissidence.

A la même époque, en Lituanie et en Pologne, les synodes des anti-trinitaires ne connurent pas de dissidence.

Dans les pays anglophones où l'unitarisme se développa dans les siècles suivants, l'adoption d'une ecclésiologie de type congrégationaliste (où chaque congrégation est indépendante) permis à la mouvance unitarienne de maintenir sa cohésion. Aujourd'hui, la quasi totalité des unitariens participe au réseau mondial qu'est l'International Council of Unitarians and Universalists (fondée en 1995).

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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 18:25

Une destinée unitarienne comparable à celle de la Transylvanie faillit échoir à la Pologne au temps des rois Jagellons. Son échec final ne fait pas oublier que Sébastien Castellion en reçut un émouvant et courageux témoignage. Nous ne pouvons mieux faire ici que de citer in extenso une page du monumental Sébastien Castellion de Ferdinand Buisson, référence définitive pour le protestantisme libéral français (Hachette, 1892, t. II, p. 264) :


Sebastien_Castellion_par_ferdinand_buisson_1892.jpgIl mourut le 29 décembre 1563 à Bâle : il avait quarante-huit ans. Sa mort fut un deuil pour l'Université. Les étudiants lui firent des funérailles peut-être d'autant plus touchantes qu'ils savaient à quel péril la mort venait de le soustraire. Le cercueil porté sur les épaules de ses élèves était suivi d'une foule nombreuse, et celui qui, vivant, allait paraître en accusé devant le Sénat, reçut tous les honneurs publics dus à un maître profondément aimé de la jeunesse. Il fut enseveli honestissimo loco, dit Zwinger, sous ce merveilleux cloître de la cathédrale de Bâle, qui est encore aujourd'hui un sanctuaire unique de la Renaissance et de la Réforme.


Trois de ses élèves, probablement ses pensionnaires, résolurent de rendre à sa mémoire un témoignage particulier de respect. C'étaient trois jeunes nobles polonais venus à Bâle ainsi que plusieurs de leurs compatriotes en partie pour suivre les leçons de Castellion. L'un d'eux était le fils du comte Stanislas Ostrorog, ce personnage considérable de la Réforme en Pologne, à qui Calvin lui-même, malgré sa méfiance pour cette nation prête à glisser dans l'hérésie, a rendu un si bel hommage. Ces dignes jeunes gens obtinrent, paraît-il, que le pauvre professeur fût enseveli dans le tombeau de l'illustre famille Grynaeus et firent graver sur le marbre une épitaphe qui ne tarda pas, par sa justesse même et sa sobriété, à attirer l'aversion des ennemis. Ils se bornaient à dire qu'ils élevaient ce monument à la demande de tous leurs camarades polonais professori celeberrimo ob multifariam eruditionem et vitae innocentiam doctis piisque viris percharo (Au professeur très célèbre pour l'étendue de son érudition, et infiniment cher aux gens pieux et savants pour la pureté de sa vie). Ils écrivirent en outre dans le goût du temps d'autres épitaphes en vers latins qui ne valent que par la piété de l'intention. Ces honneurs funèbres devaient soulever de nouvelles colères, et quand ces jeunes gens allèrent achever leurs études à Zurich et à Genève, leurs lettres nous apprennent par quelles méfiances on les punit d'avoir été des "Castalionistes".


Il reste de cette ère des Jagellons qu'elle est encore, pour les Polonais, l'âge d'or (zloty wiek) de leur pays.

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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 18:04

Il manque cependant à notre exposé un chapitre important, que certains lecteurs mieux informés combleront peut-être. Nous ne trouvons pas les opinions de penseurs musulmans sur la Réformation. Nous savons qu'elle est vue avec sympathie politique car elle affaiblit le Saint Empire catholique. Nous trouvons un peu plus dans les sentiments populaires, mais rien avant le Réformisme musulman de la fin du XIX° siècle pour ce qui est de la Théologie. En tout cas, l'un des reproches principaux du Coran à l'égard des chrétiens étant, à part ce qui concerne la divinité du Christ, leurs querelles internes, nous avons pu voir, avec les disputes entre luthériens et réformés, puis entre calvinistes et unitariens, que les musulmans n'ont pas eu l'occasion de changer d'avis.

 

D'autre part, le pouvoir des médias n'étant pas une invention moderne, il faut tenir compte de leur importance dès le XVIème siècle. Nous sommes au siècle de l'Humanisme ; les manuscrits grecs arrivent par Venise. L'ambassadeur français, un fidèle de Marguerite de Navarre qui est le véritable ministre des Affaires étrangères de François Ier, l'évêque érudit Guillaume Pellissier, se procure les textes par tous les moyens pour la Bibliothèque nationale, les volant quand il peut, achetant, faisant copier. Mais avec les textes arrivent aussi les ecclésiastiques grecs dépossédés par les pouvoirs ottomans, et les informations sur leur rapacité cruelle... Ainsi se construit l'opinion des peuples : « La conscience d'un Turc ! » (Molière). « Le sang des Ottomans ne doit point en esclave obéir aux serments » ( Racine dans Bajazet) ; le même Racine applaudit au même moment à la Révocation de l'édit de Nantes...

 

empire_ottoman_sa_formation.jpg

la formation de l'empire ottoman et son expansion

Il reste que les sympathies populaires ont existé, en Europe et dans les deux sens. On en trouve des témoignages dans T.W. Arnold, The Preaching of Islam (Aligarh, 1896 ; Lahore 1961, 1965). Nous en avons donné une série dans des cours sur l'islam à la Faculté de théologie protestante de Paris en 1966 et 1967. En voici deux :
- Lors de la Révolte des Gueux de Guillaume d'Orange contre l'Espagne en 1566, désignés par ce titre à cause de leur uniforme "pauvre jusqu'à la Besace" - il ira, je l'espère, au coeur de mes amis unitariens - furent frappées des monnaies en forme de croissants, avec la devise: « Plutôt Turcs que papistes ! » (LIVERTURCK*DAN PAVS). Ils furent les alliés les plus fidèles d'Henri IV.
- L'autre est d'une émouvante simplicité. Nous le donnons in extenso. C’est le témoignage de Jean Marteilhe, galérien (1700-1713) né en 1684 relaté dans un livre édité à Toulouse en 1864, p. 251 ss

Les missionnaires de Marseille [des Lazaristes, dont l’ordre fut fondé par saint Vincent de Paul], qui nous ont toujours persécutés à toute outrance, ne trouvaient aucune occasion de renouveler et d’augmenter nos souffrances, qu’ils ne l’embrassassent avec ardeur. Sachant que nos frères des pays étrangers nous faisaient tenir, de temps en temps, quelque argent pour nous aider à ne mourir pas de faim, et se persuadant que si cette ressource nous était ôtée, ils nous prendraient par famine, proposèrent en cour de donner ordre aux intendants de Marseille et de Dunkerque, et aux majors et autres officiers des galères, de tenir la main à ce qu’aucun négociant ou autre ne comptât de l’argent ou remît des lettres de change aux galériens de la religion réformée, qui étaient aux galères.
La cour ne manqua pas d’envoyer ces ordres et commanda de les faire exécuter à la rigueur, et de procéder criminellement contre les négociants ou autres qui seraient convaincus d’avoir contrevenu à la défense. On peut juger si les missionnaires, sous lesquels tout pliait, faisaient observer exactement qu’aucun secours ne nous parvînt. Leur grande attention était à découvrir quels marchands ou banquiers nous fournissaient de l’argent, par correspondance des pays étrangers, afin de les faire punir si sévèrement, qu’aucun autre, par la suite, ne s’y osât exposer. Mais par la grâce de Dieu, jamais ils n’ont pu parvenir à cette découverte, quoique ces subventions nous parvinssent très souvent ; je dois ajouter aussi, grâce à la fidélité des esclaves turcs, qui nous servaient merveilleusement bien, par pure bonté et charité pour nous.
En parlant de la fidélité et de l’affection que les Turcs nous portaient, j’en dirai ici un exemple qui concerne le Turc qui me servait dans ces occasions à Dunkerque. J’ai dit ci-dessus que je fus commis pour recevoir ces subventions et les distribuer à nos frères. J’étais enchaîné dans mon banc, sans avoir la liberté d’aller en ville, et cela par la malice des aumôniers des galères, qui nous empêchaient d’avoir ce privilège, que les autres forçats, condamnés pour leurs crimes, avaient bien, en payant un sou à l’argousin et autant au garde qui les y conduisait. Comment faire donc pour recevoir cet argent ? M. Piécourt m’envoya une fois ou deux, par son commis, ce qu’il avait ordre de me compter. Mais les ordres de la cour ayant été renouvelés avec de grandes menaces à l’intendant et aux officiers qui négligeraient d’y tenir la main, le commis du sieur Piécourt n’osa plus s’y exposer. Son maître, me l’ayant fait savoir, me pria de trouver quelqu’un de toute fidélité, pour envoyer chez lui prendre cet argent à chaque remise. J’étais encore novice sur l’affection et la fidélité que les Turcs nous portaient. Cependant je m’en ouvris au Turc de mon banc qui, avec joie, entreprit de me rendre service, en mettant la main sur son turban (ce qui est parmi eux un signe de l’épanchement du coeur vers Dieu), en le remerciant de toute son âme de la grâce qu’il lui faisait, de pouvoir exercer la charité au péril de son sang, car ce Turc savait bien, que s’il avait été pris, en nous rendant ce service, on lui aurait donné la bastonnade jusqu’à la mort, pour lui faire avouer quel marchand nous comptait de l’argent.
Ce Turc donc, qui se nommait Isouf, me servit quelques années très fidèlement, sans jamais avoir voulu prendre de moi le moindre salaire, m’alléguant que, s’il le faisait, il anéantirait sa bonne oeuvre et que Dieu l’en punirait. Ce bon Turc fut tué au combat de la Tamise. C’est celui dont le bras me resta à la main, comme je l’ai raconté. Je fus fort affligé de sa mort, et je ne savais à qui m’adresser pour me servir. Je n’eus cependant pas la peine d’en chercher un, car dix ou douze, les uns après les autres, me vinrent solliciter, comme on sollicite un office lucratif dans le monde. Il faut savoir que, lorsque les Turcs ont occasion d’exercer la charité ou d’autres bonnes oeuvres, ils communiquent la joie qu’ils en ont à divers de leurs papas (c’est ainsi qu’ils appellent leurs théologiens qui, pour toute science, savent lire l’Alcoran), leur demandant leur avis sur les bonnes oeuvres qu’ils entreprennent de faire ; et quoique j’eusse instamment prié mon Isouf de ne communiquer à personne le service qu’il me rendait, il ne put s’empêcher, par principe de religion, de dire la chose à ses papas, comme je le sus après sa mort. Ces bonnes gens donc, voyant que je serais embarrassé pour ne savoir à qui me fier, vinrent donc, les uns après les autres, me prier de me servir d’eux, me marquant des sentiments si pieux et me témoignant tant d’affection pour ceux de notre religion, qu’ils appelaient leurs frères en Dieu, que j’en fus touché jusqu’aux larmes. J’en acceptai un nommé Aly, qui sautait de joie d’obtenir un emploi si périlleux pour lui. Il m’y rendit service pendant quatre ans, c’est-à-dire jusqu’au temps qu’on nous enleva de Dunkerque, et il s’y comporta avec un zèle et un désintéressement inexprimables. Ce Turc était pauvre, et j’ai diverses fois tenté de lui faire accepter un écu ou deux, lui alléguant que ceux qui nous envoyaient cet argent prétendaient que ceux qui nous servaient en ressentissent quelque douceur. Il refusa toujours constamment, disant dans son style figuré que cet argent lui brûlerait les mains ; et lorsque je lui disais que, s’il n’en prenait pas, je me servirais d’un autre, ce pauvre Turc était comme au désespoir, me sollicitant à mains jointes de ne pas lui fermer le chemin du ciel.
Ce sont ces gens que les chrétiens nomment barbares, et qui, dans leur morale, le sont si peu qu’ils font honte à ceux qui leur donnent ce nom.
Il faut en rester à cette expression de la sympathie populaire, et se rendre à l'évidence qu'elle ne peut rien à elle seule, sans l'appui des pouvoirs politiques. Il y eut bien des représentations diplomatiques du pouvoir ottoman auprès de la cour de France, en faveur des protestants persécutés. La diplomatie donna pour réponse qu'il s'agissait de rébellion contre la volonté du Roi, et le Grand Seigneur admit, ou fit semblant d'admettre, qu'il s'agissait d'affaires purement intérieures françaises.

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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 17:20

Au point où nous nous sommes arrêtés, le fil paraît coupé. Il l'a été non par la hiérarchie catholique, mais par le camp réformateur lui-même.

 

Il y a deux Luther bien différents. Avant la Guerre des paysans de 1525, et après. Qui voudra s'en rendre compte se reportera au Commentaire allemand du Notre Père, de 1519, puis au commentaire qui se trouve dans le Petit catéchisme de 1529. En 1519, c'est le Luther de l'histoire officielle et des films, celui qui risque sa vie devant la diète de Worms en 1521. En 1529, c'est le Luther de la caricature, où la vie du village est dominée par trois personnages, le maire, le commissaire de police et le pasteur. De la même manière, on pourra comparer la préface de Calvin (1535), dans la bible d'Olivétan, au Calvin qui a pris le pouvoir à Genève, après 1541. En 1535, il réclame pour tous le droit d'accéder directement à l'Ecriture. A Genève, les cultes privés seront interdits. Entre les deux, des évènements politiques majeurs ont joué un rôle contraignant, et nous devons éviter les anachronismes quand nous nous sentons contraints de les juger.

 

Il en est de même en Europe orientale, un peu plus loin sur le chemin de la Liberté. L'unitarisme lui-même s'est divisé, et l'on peut songer à comparer Ferencz Dàvid à Michel Servet. G. H. Williams, le grand historien de la Réforme radicale, ne va pas jusque là. Le point de vue de Dàvid aboutissait à créer une véritable société se réclamant du judaïsme [ndlr – allusion sans doute aux Sabbatariens de Transylvanie, mais ce mouvement judaïsant s'est développé distinctement de l'unitarisme. IL y a là confusion de la part de G. H. Williams]. Mais Williams reconnaît (p. 1 301) que son point de vue ne satisfait pas les successeurs actuels de Dàvid. N'entrons pas ici dans une comparaison d'échelle entre les cruautés que ces deux victimes ont subies, ni sur les contextes politiques. Je ne sais s'il y eut en Europe orientale, pour prendre la défense de Dàvid, des hommes tels que Sébastien Castellion pour Servet [ndlr - si, Georges Biandrata fut contesté de son vivant pour avoir été à charge contre F. David]. Il n'y avait pas, en Transylvanie, de société juive reliée à l'histoire, et je ne sais rien des échos que Dàvid et son mouvement purent soulever chez les juifs de Pologne.

Autrement dit, le problème est à reprendre, et nous y reviendrons.


David Flusser, historien juif reconnu, a écrit : « L'histoire du pharisaïsme depuis le commencement de ce mouvement jusqu'aux jours de Jésus est marquée par les progrès d'une humanisation progressive du Judaïsme, et la doctrine de Jésus est le couronnement de ce progrès » (Dossiers de l'Archéologie, mai-juin 1975).

Dans de telles conditions, il est clair qu'une réflexion où le penseur chrétien ne se pose pas en Verus Israel, l'Israël véritable - tel saint Augustin et d'autres - mais respecte la continuité historique du judaïsme, pourra s'appuyer sur des relations nouvelles, entre personnes et entre groupes sociaux.


Mais s'il a manqué à la vague unitarienne du XVI°siècle une grande puissance politique pour la soutenir, le temps ne lui était pas compté. Se retrouve ici le combat célèbre de la violence et de la vérité, illustré par la Douzième provinciale de Pascal dans sa conclusion. Il montre bien les ressources infinies d'un espoir que rien jamais n'éteindra, car « la vérité est éternelle et puissante comme Dieu même ». Du scandale Servet, va naître l'arme à longue portée de la Liberté, faite de science, de prudence, et de ténacité. Servet avait été condamné au motif de la responsabilité du pouvoir souverain sur le culte rendu à Dieu, allant jusqu'à légitimer les exécutions capitales pour crime de lèse-majesté divine. Le juriste François Baudoin démontra qu'il s'agissait là d'une glose ajoutée au code de Droit romain au VIème siècle. Autrement dit, l'exécution de Servet était illégale. Ce fut, à notre connaissance, le premier succès de l'exégèse critique. Le Fil d'Arius était là.  Comme dit le Jupiter de Jean-Paul Sartre dans Les Mouches, "Le secret douloureux des dieux et des rois, c'est que les hommes sont libres". Quand les hommes le savent...

 
Avec des milliers d'imprimeurs dispersés dans toutes l'Europe, le latin et la correspondance, la science et les idées peuvent contourner les pouvoirs. Même pas besoin de peuple. Seulement de l'argent pour payer les livres et le train de vie indispensable, avec un établissement social assez solide, souvent dans la carrière juridique. La poste fait le reste. Dans ce cadre protégé, l'adversaire idéologique reste un vir doctissimus, et c'est le triomphe de la politesse XVII° siècle entre « très humbles et très dévoués serviteurs ». On se communique les titres des derniers livres parus chez tel imprimeur de Paris, Bâle, Francfort, Venise, Oxford, Anvers, etc. Bien entendu, catholiques érudits et calvinistes de la rigoureuse orthodoxie en sont partie intégrante. Mais l'essentiel est qu'ils n'y sont pas seuls. La grande tribu d'origine italienne Diodati y joue un rôle central, avec en particulier l'avocat Elie Diodati, citoyen de Genève, mais non-calviniste et donc plus tranquille à Paris sous le régime de l'Edit de Nantes. Son cousin Jean Diodati, traducteur de la bible en italien, puis en français, calviniste bon teint, est l'ami d'autres théologiens qui le sont beaucoup moins comme l'Ecossais John Cameron, pasteur à Bordeaux puis professeur à l'Académie protestante de Saumur. Le cousin Jean est pour Elie une bonne caution du côté de Genève. Et il met ses immenses relations et sa culture polyglotte au service de tous. Il représente à Paris les intérêts de la République de Genève, et défend utilement l'industrie textile suisse en France ; Richelieu lui confie une mission commerciale en Allemagne : moyennant quoi l'essentiel est que Diodati a compris l'importance scientifique de l'oeuvre de Galilée, reclus en Italie après sa condamnation, et il en assure la diffusion dans toute l'Europe, contournant l'Inquisition.


hugo_grotius.jpegOn devine que le Fil d'Arius est présent, et que l'érudition le sert aussi efficacement qu'il y a douze siècles, au débat entre saint Augustin et Maximin. Parmi les étoiles de première grandeur de cette République des Lettres, il faut une mention particulière pour Hugo Grotius [ndlr - 1583-1645 ; portrait joint], un disciple de Fausto Sozzini, unitarien du XVI°siècle selon André Rivet, membre notoire et calviniste rigoureux de la République des Lettres. Certes, cela ne se voyait pas directement dans le traité de Grotius De veritate Religionis Christianae (1627). Mais un bon calviniste savait y déceler ce qui manquait à son orthodoxie, masqué par une érudition impressionnante. La réalité historique de la Vie de Jésus y est, prouvée avec  TOUS les arguments, tirés de l'Histoire romaine, que nous avons trouvés dans les écrits du professeur Maurice Goguel trois siècles plus tard ; et ils y sont avec un déluge de notes érudites en latin et en grec, parfois en hébreu. Grotius n'attaque pas directement le dogme trinitaire ; mais il défend la vérité chrétienne contre des adversaires non-chrétiens, en soulignant les analogies qu'on trouve soit chez le Juif Philon d'Alexandrie, soit dans le Coran : Jésus, le Messie, est le Verbe de Dieu fait homme, avec l'Esprit de Dieu. L'expression est dans le Coran (III,40 ; IV, 169), et signifie pour nous * l'Incarnation [ndlr – point de vue de Maurice Goguel relayé par l’auteur, Maurice Causse]. C'est ainsi que, huit siècles avant Grotius, le patriarche nestorien Timothée Ier argumentait déjà, lui aussi, et en parfaite courtoisie, face au calife de Bagdad.

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