" L’avenir du christianisme libéral : sera-t-elle la religion de l’avenir ? " Elek Rezi, The Herald, hiver 2005, pp. 4-8, résumé, par Marie-Claire Lefeuvre
I. - Cet avenir brillant est-il réellement en germe dans le présent ? existera-t-il réellement ?
Samuel Brassai (1800-1897), né en Transylvanie, protestant, pédagogue, défenseur de la culture hongroise. Le lycée Samuel Brassai à Cluj est géré par l'Eglise unitarienne de Roumanie qui y a son siège épiscopal.
La religion du futur… cette expression est empruntée au célèbre esprit universel transylvanien, scientifique et théologien unitarien : Samuel Brassai (fin du XIXe siècle) ; il écrivit un article dans " The Christian Sower " intitulé " La religion du futur ", article où il combattait les libres penseurs qui, influencés par le positivisme et le rationalisme, voulaient fonder une religion basée uniquement sur l’athéisme et sur les spéculations philosophiques, en écartant la révélation, l’aspect surnaturel et la croyance en un Dieu personnel.
L’unitarisme doit se défendre contre une religion artificielle comme celle-là. Toutefois, le rationalisme doit continuer à jouer son rôle (note 2). La réalité aujourd’hui, c’est que les dynamiques du développement religieux sont loin d’être linéaires, comme les rationalistes modernes l’avaient envisagé cent ans auparavant. Le fondamentalisme croît et le libéralisme décroît, à la fois dans les chiffres et par son influence dans la société. Ce dernier nécessite d’être adapté à notre temps, sans rien céder de l’essentiel….
page 5 - Le XIXe siècle, ce fut l’industrialisation et le développement des sciences, la recherche biblique et théologique, si bien que le libéralisme semblait alors la seule voie. L’optimisme et la croyance dans le progrès des sciences et de la société prévalaient. On pensait découvrir les sources de la souffrance humaine, les mystères ultimes.
Le XXe siècle, c’est la perte de l’optimisme avec la Première guerre mondiale, les goulags et les chambres à gaz, les génocides, les convoitises, les constantes agressions qui mettent en péril la planète elle-même. Ainsi l’on constate que les questions sont plus complexes, la vie plus imprévisible, et l’on revient au dogmatisme. Les attentes de l’humanité, le constant perfectionnement du savoir et de l’éducation que l’on avait prédit, ont échoué. L’irrationalité gagne donc du terrain, fertile aux superstitions, aux sciences occultes, aux fondamentalismes.
Mais nous ferions une grave erreur si nous ne réalisions pas que le besoin d’une aspiration à une religion plus saine, spirituelle, au service de la transcendance, existe toujours.
II - comprendre nos atouts et nos faiblesses historiques (pages 5 - 6)
Le christianisme libéral proteste contre toute organisation autoritaire et dogmatique. Il se caractérise par la liberté intérieure de la conscience individuelle, éclairée par la raison, par sa liberté de questionner, de critiquer, soi-même et les textes sacrés. Le christianisme libéral est à l’origine de la démocratie en Europe, de la prise de conscience de la valeur et de la dignité de l’individu, de la liberté d’entreprendre...
D’autre part, il a été exposé à d’autres influences, telles celles de la science et de la philosophie ; celles-ci n’ont pas toujours été bénéfiques (empirisme, rationalisme…). L’hypothèse darwinienne de l’évolution humaine en progression constante, fut soi-disant trouvée implicitement dans le Nouveau Testament (la " modernisation " des Evangiles) ; les chrétiens libéraux essayèrent de fonder l’approche contemporaine de la science dans la Bible. Cela nous mena dans diverses impasses dont nous devons être conscients si nous voulons comprendre notre " tradition ", nos racines religieuses :
1 - La perte d’une vision spirituelle en profondeur des concepts de Dieu, de l’homme et de l’histoire. L’histoire est vue comme le lieu d’un progrès unilinéaire où les hommes s’amélioreront sans cesse. Au XIXe siècle, sous l’influence de l’utilitarisme et du kantisme, le christianisme libéral tendit à identifier la religion à une vie moralement bonne, ce qui fit perdre les notions de transcendance et de mysticisme. Les aspects éthiques dans l’enseignement du Christ prédominèrent.
2 - La notion d’universalisme, la notion d’un tout (wholeness) se perd : la lutte de l’homme pour sa liberté présente souvent les forces et les phénomènes de la nature comme des ennemis à conquérir. La libre entreprise considère essentiellement les ressources de la nature comme des éléments à exploiter. Ainsi la nature perd-elle son caractère sacré, donc le concept de l’univers formant un tout se perd aussi. On met dans tous les domaines l’accent sur l’activisme, dans le but d’avoir toujours plus et toujours mieux, perdant de vue ses conséquences et les responsabilités humaines de cet activisme par rapport à la vision de l’ensemble.
3 - Les conséquences de ces vues optimistes sur le futur, vues qui conditionnent le présent, sont la perte des racines traditionnelles du christianisme libéral, que l’on renie, ou qui ne servent qu’à des vues erronées sur l’avenir.
4 - La lutte pour les libertés individuelles a mené à un excès d’individualisme, face aux devoirs de la charité et de la solidarité. Au niveau de la société on a perdu aussi le sens de l’universel.
III - La nécessité de changer les paradigmes (page 6)
A un âge où le développement scientifique changea la compréhension de toutes choses, où il devint évident qu’il y a un univers organique de forces fondamentalement interdépendantes et des processus basés sur la mécanique quantique et la relativité, où la condition humaine change considérablement, le christianisme libéral doit de toute urgence redéfinir sa position et redécouvrir sa juste mission dans ce nouveau contexte. C’est un problème majeur et un anachronisme de vivre dans une ère post-moderne selon les modes de vie et les réflexes d’une époque " moderne " qui s’est progressivement évanouie. Le christianisme libéral doit changer ses paradigmes ; il y a là une attente et un besoin :
1 - Le christianisme libéral doit réaliser que les valeurs si prisées autrefois ne sont plus de mise aujourd’hui, et sont même néfastes. Celles qui sont encore valables doivent être présentées dans un langage pour notre temps.
2 - Le christianisme libéral doit redéfinir sa conception du spirituel - opposer au fardeau toujours présent du rationalisme la supériorité de la transcendance- et trouver dans l’adoration et la liturgie des voies pour s’adresser à la complexité de l’âme humaine, des formes appropriées qui servent d’intermédiaire entre cette transcendance et le peuple en quête de sa nourriture spirituelle et religieuse.
3 - Au-delà de l’approche critique et rationnelle de la Bible, si importante jusqu’à aujourd’hui, il est temps de laisser ces textes nous émouvoir, renaître à l’intérieur de nous-mêmes pour qu’ils deviennent, non seulement le fondement de nos arguments, mais une inspiration vivante, passionnée, qui passe par notre communion au passé.
4 - Au lieu d’individualisme, il faut redécouvrir la mission principale des Evangiles : vivre activement la solidarité basée sur l’amour envers nos compagnons : les êtres humains. Oser accepter les faiblesses, les misères, les souffrances et les limites de l’humanité, mais aussi voir le potentiel des gens qui ont besoin d’amour et d’une affection attentive, et que nous préférions voir auparavant de manière artificielle, toujours sains et en bonne santé, s’efforçant d’atteindre la perfection.
5 - Il nous faut retrouver la possibilité de restaurer " le tout " (wholeness) qui est perpétuellement brisé.
6 - Le christianisme libéral doit aller au-delà du " confortable ", de l’approche individuelle (je l’ai découvert moi-même), qui évite même le mot " mission " ; il doit prendre ses responsabilités pour répandre la parole et offrir les valeurs du Christianisme libéral au monde. Ceci est plus spécialement vrai pour introduire la nouvelle génération, de manière responsable, à notre religion, et pour s’assurer qu’elle va continuer à être inspirée par nos valeurs.
7 - Il est nécessaire de préserver nos racines chrétiennes et notre identité. Le christianisme libéral ne sera certainement pas la religion de l’avenir si à un certain moment les chrétiens libéraux eux-mêmes pensent qu’il est conforme à leur libéralisme d’abandonner leurs racines chrétiennes pour que celui-ci puisse être plus universel. Tout embrasser pendant que l’on perd les racines chrétiennes et que le sol se dérobe sous nos pieds. L’authentique universalisme s’enracine toujours dans le particulier, ayant la capacité d’être ouverts aux valeurs des autres mondes religieux.
8 - Une responsabilité historique envers les enseignements de Jésus existe parce que seul le christianisme libéral peut prouver que la religion originale de Jésus est, dans son essence, la plus libérale des religions.
9 - Le christianisme libéral n’étant pas captif d’aucun dogme -par essence non remis en question- il a la possibilité, et ainsi la responsabilité, de promouvoir le dialogue entre les différents systèmes religieux. Nous avons vu que la vertu la plus louée du dernier pape [Jean-Paul II] était son apparente ouverture envers les autres religions. C’est une question de vie ou de mort, si nous pensons à la menace religieuse terroriste et à d’autres souffrances causées par l’affrontement des différentes religions.
10 - A une époque où la question majeure n’est plus la lutte pour la liberté de l’individu contre les institutions, leurs dogmes oppressifs et autoritaires - comme c’était le cas au début du christianisme libéral - mais plutôt la lutte contre l’individualisme destructeur et l’aliénation, et où le souci majeur n’est pas la survie de l’humanité face aux forces de la nature - mais la survie de la nature face aux convoitises et à la destruction de l’humanité - , la valeur essentielle du christianisme libéral doit évoluer de la seule liberté à la liberté combinée à la responsabilité, avec l’accent mis sur la responsabilité.
11 - A notre époque, quand l’individualisme et la doctrine libertaire, égoïste, menacent l’existence même du monde, le christianisme libéral doit défendre fermement certaines valeurs et élever fortement la voix contre certains aspects négatifs du libéralisme économique.
12 - Quand la principale menace est la perte de toutes sortes de choses irremplaçables, depuis les valeurs spirituelles jusqu’aux espèces animales et aux paysages, le sens de la responsabilité amène nécessairement à une attitude de préservation. La nouvelle approche vis à vis de l’existence, considérée dans son ensemble, doit évoluer de la liberté à la responsabilité individuelle, au service de la vie dans son ensemble et de toutes les espèces. l’individualisme doit être remplacé par une approche plus communautaire, et l’engagement actif dans la société doit être encouragé.
13 - A notre époque, les valeurs se relativisent ; le christianisme libéral doit offrir le cadre de valeurs éternelles et inchangées qui peuvent inspirer et relever l’esprit.
IV - La religion de l’avenir doit être une réponse authentique à la quête de l’ultime signification de la condition humaine en relation avec le grand tout (page 8)