" Quand le fils de l’homme viendra dans sa gloire … "
commentaire par Jacques Musset de l’évangile de Matthieu 25, 31-46
prédication au temple de l’Eglise réformée de Nantes le dimanche 16 novembre 08
31 - Quand le fils de l’homme viendra dans sa gloire avec tous les messagers, il siègera sur le trône de sa gloire. 32 - Et tous les goîm (païens) se rassembleront en face de lui. Il les séparera les uns des autres comme le berger sépare les moutons des boucs. 33 – Il mettra les moutons à sa droite et les boucs à sa gauche.
34 – Alors le roi dira à ceux de sa droite : ‘Venez, bénis de mon Père, héritez du royaume préparé pour vous dès la fondation de l’univers. 35 – Oui, j’étais affamé, et vous m’avez donné à manger ; j’étais assoiffé, et vous m’avez donné à boire ; métèque, vous m’avez accueilli ; 36 – nu, vous m’avez vêtu ; infirme, vous m’avez visité ; en prison, vous êtes venus à moi ".
37 – Alors les justes lui répondent et disent : " Adôn, quand t’avons-nous vu affamé, pour te nourrir, assoiffé, pour te donner à boire ? 38 - Quand t’avons-nous vu métèque, pour te recueillir, ou nu, pour te vêtir ? 39 – Quand t’avons-nous vu infirme ou en prison pour venir à toi ? ". 40 – Le roi répond et leur dit : " Amen, je vous dis : pour autant que vous l’avez fait à un de mes frères, le dernier, vous l’avez fait à moi-même ".
41 – Alors il dira à ceux de sa gauche : " Allez loin de moi, honnis, au feu de pérennité, préparé pour le diable et pour ses messagers. 42 – Oui, j’étais affamé, et vous ne m’avez pas donné à manger ; assoiffé, et vous ne m’avez pas donné à boire ; 43 – métèque, et vous ne m’avez pas recueilli ; nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; infirme, en prison, et vous ne m’avez pas visité ". 44 – Alors ils répondent aussi et disent : " Adôn, quand donc t’avons-nous vu affamé, ou assoiffé, ou étranger, ou nu, ou infirme, ou en prison, et ne t’avons nous pas servi ? " 45 – Alors il leur répond et dit : " Amen, je vous dis : pour autant que vous ne l’avez pas fait à l’un de ceux-ci, le dernier, à moi non plus vous ne l’aurez pas fait. ".
46 – " Ceux-là s’en iront vers la punition de pérennité, et les justes vers la vie de pérennité. "
traduction André Chouraqui, éditions Lidis, Paris, 1985
Si la lecture incessante des évangiles a pour but d’entretenir en nous la vigilance spirituelle sur ce qui donne sens à notre vie, le texte que nous lisons ce matin est à coup sûr une référence essentielle. Tout est dit dans ces quelques lignes de la fin de Matthieu sur ce qui fonde la valeur de nos existences, de toute existence. C’est en effet notre disponibilité à servir autrui et notamment nos semblables éprouvés par la vie qui détermine de quel poids pèse nos existences. Selon notre texte, aucune excuse n’est recevable, tout humain est concerné, chrétien ou non, puisque les critères sont identiques. Voilà donc un texte salutaire pour nous demander chacune et chacun où nous en sommes.
Replaçons-le d’abord dans son contexte pour en percevoir tout le sens. Notre passage est une grande mise en scène imaginée par l’évangéliste Matthieu qui se situe en fin du 5ème et dernier grand discours de son évangile. Le thème de ce discours, c’est l’avènement du monde nouveau qu’inaugure Jésus et la question sous-jacente peut se résumer ainsi : où la présence de Dieu se manifeste-t-elle désormais au milieu des hommes ?
Assurément, ce n’est plus au cœur du temple de Jérusalem, considéré jusque là comme le lieu très saint de la présence de Dieu au milieu de son peuple et des nations. " Il n’en restera pas pierre sur pierre " dit le Jésus de Matthieu au début du 5ème discours. La réponse est finalement donnée dans le récit de la passion qui suit. Au moment de la mort de Jésus, les ténèbres couvrent la terre ; celle-ci tremble et le voile du Temple se déchire de haut en bas. Cette mise en scène de l’évangéliste reprend les images bien connues exprimant à travers la Bible la fin du vieux monde et l’apparition du monde nouveau. Le message est clair : c’est en Jésus de Nazareth, apparemment mort comme un réprouvé de Dieu (Celui qui pend au bois, dit le Deutéronome, est maudit de Dieu) ; c’est en lui, à travers ses paroles et ses actions, et nulle part ailleurs qu’on trouve désormais la présence du Dieu vivant.
Mais une autre question surgit aussitôt pour les chrétiens de la communauté de Matthieu : comment accueillir Jésus présence de Dieu, puisqu’il n’est plus visiblement de ce monde ? La réponse de Matthieu est double : c’est d’une part dans le service des frères humains souffrants – et cette exigence s’adresse à tout homme. D’autre part – et cela vaut spécifiquement pour les chrétiens - c’est dans la célébration de la Cène en mémoire de Jésus.
Notre texte d’aujourd’hui rappelle donc l’un des deux critères fondamentaux de l’accueil de Dieu qui vient vers nous. Et ceci concerne autant nos Eglises en ce début du 21ème siècle que les chrétiens de la communauté de Matthieu.
Reprenons maintenant en détail notre passage et voyons ce qu’il dit et ne dit pas, ce que parfois on lui fait dire et qui va à contresens de la parole évangélique. Dans la mise en scène grandiose de Matthieu, Jésus s’adresse d’abord à une première catégorie de personnes. Rien ne précise qu’ils sont chrétiens. En fait les destinataires de ses paroles sont tout simplement des humains, croyants, disciples ou non du Galiléen, agnostiques ou athées : Venez les bénis de mon Père, leur dit-il, traduisons : Je vous l’assure, aux yeux de Dieu, vous avez réussi votre vie. Puis Jésus en décline la cause : J’ai eu faim et vous m’avez donné à mangé, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, en prison et vous êtes venus à moi. Ses interlocuteurs lui disent que jamais ils ne l’ont vu dans ces situations mais Jésus d’ajouter cette précision décisive : Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits c’est à moi que vous l’avez fait.
Le message est clair. D’abord, la valeur d’une vie humaine réside dans le service rendu à autrui souffrant. L’appartenance à une religion, la fréquentation de la catéchèse et du culte, les temps de prière, la participation active à la vie paroissiale, tout cela ne semble pas compter ou du moins cela n’a d’importance qu’orienté vers le service d’autrui le plus démuni. Remarquons encore que Jésus ne dit pas à chacun : tu as réussi ta vie parce que tu m’as reconnu dans la personne de ton frère souffrant, mais : parce que tu as aimé ton frère souffrant pour lui-même tu m’as accueilli et donc tu as accueilli Dieu. Il y a de quoi surprendre ceux qui prétendent n’aimer leur prochain que pour l’amour de Dieu. Cette conception est le contraire du message évangélique. L’accueil de Dieu dans nos existences et dans la vie sociale se vit donc d’une manière non-religieuse, sur des enjeux humains essentiels. Cette perspective est une révolution en christianisme. Dieu ne peut être qu’en ce qui aide les êtres humains à s’humaniser ; c’est là qu’on le rencontre réellement sans s’illusionner.
Il y a mille façons d’être au service de notre prochain qui a faim et soif, est étranger, nu, malade et en prison. Ne réduisons pas ces mots à leur sens premier, si essentiel soit-il : on peut avoir à sa porte, dans son milieu de travail et dans sa propre maison des gens qui ont faim de sens, de dignité, de reconnaissance, de vraies relations ; on peut côtoyer des gens qui ont soif de vie spirituelle, d’espaces fraternels, de lieux de ressourcement ; on peut découvrir dans sa vie quotidienne des gens qui nous sont étrangers spirituellement, religieusement, politiquement, socialement, idéologiquement ; on peut croiser des gens qui sont nus, accablés par des deuils, dépouillés de leurs certitudes à la suite d’épreuves, plongés dans les ruines d’un passé mal assumé ; on peut connaître des gens malades de leurs attachements, de leurs possessions, de leur refus de voir la réalité comme elle est ; on peut trouver sur sa route des gens emprisonnés dans leurs préjugés, leurs fausses sécurités, leur histoire malaisée dont ils n’arrivent pas à émerger. A chacun de nous d’ouvrir ses yeux et son coeur : le service d’autrui est à la portée de tous et les grandes misères ne sont pas toujours les plus spectaculaires. Regardons Jésus : sa pratique est toujours inspiratrice.
Je n’insiste pas sur la seconde catégorie de personnes auxquelles le Jésus de Matthieu s’adresse : vous l’avez compris, leur fermeture systématique à autrui démuni et souffrant quelles qu’en soient les raisons est synonyme de vie ratée dès maintenant, en dépit des apparences. Cette situation existe-t-elle dans la réalité ? En tout cas, l’essentiel du texte est de nous rappeler sur quels enjeux se joue la valeur de nos existences.
Nous voilà donc encouragés dans cette belle aventure de la fraternité, la seule qui vaille, que nous partageons avec tous les humains, au-delà des chapelles et des appartenances particulières. Chacun y participe selon ses propres dons ; là où la vie l’a placé. La contribution de tous est indispensable, irremplaçable.
Si l’évangile d’aujourd’hui dit vrai comment ne pas nous émerveiller devant les actes de fraternité qui irriguent notre monde et dont nous sommes témoins, d’où qu’ils viennent et quelles qu’en soient les formes ! Dieu est là présent et nous l’ignorons parfois. Comment ne pas nous sentir encore davantage mobilisés là où nous vivons quotidiennement pour la tâche immense d’humanisation d’un monde si douloureux ! Dieu nous convie à ce rendez-vous. Puissions-nous ne pas le manquer !
Jacques Musset est auteur de plusieurs livres dont " Les chemins de la naissance à soi-même. Un itinéraire spirituel " (Paris, Karthala, juillet 2007, 182 p., collection " chrétiens en liberté ").