Au-delà d’une meilleure connaissance de Giorgio Biandrata (1515-1588) et des humanistes de son temps, le colloque international de Saluzzo, organisé les 21-22 mai 2010 en sa ville natale, a vu l'acceptation, par les unitariens, de cette figure chrétienne de la Renaissance italienne comme l'une des leurs.
En effet, la querelle théologique qui l’a opposé en 1578 à Ferenc David, évêque fondateur de l’Eglise unitarienne de Transylvanie et qui se termina dramatiquement par la mort de ce dernier, le 15 novembre de l’année suivante, embastillé à vie dans la forteresse de Deva, fit de lui un Judas trahissant son propre ami et le dénonçant au bras séculier.
Or Ferenc David avait raison dans sa lecture des Ecritures : le baptême des touts petits enfants est en contradiction flagrante avec l’appel à la conversion, le renoncement au péché, l’engagement personnel à suivre Jésus. Les anabaptistes le disaient avec force. Michel Servet le répéta dans sa « Restitution du christianisme » (lien ). Dès 1569, F. David publie plusieurs pages contre le pédo-baptême dans un ouvrage en collaboration d’ailleurs avec G. Biandrata.
Pour l’Eglise unitarienne francophone (EUfr, fondée en 2008) s’il faut tenir compte de l’éveil de l’enfant, de son amour pour Jésus et de son envie à faire le bien et à aimer comme Jésus et donc permettre le baptême lorsque l’enfant le désire vraiment, il ne convient pas de substituer les parents à la liberté et à la volonté de leur enfant (c’est la position qui a été prise en janvier 2010, lien). Par contre, les mêmes parents peuvent être invités à faire une présentation de l’enfant au temple, à louer Dieu donneur de la Vie par une action de grâce, à fêter avec joie et en Eglise la naissance de leur enfant.
De même, les unitariens ont abandonné toute adoration à Jésus, celle-ci allant à Dieu seul sous la forme de louanges et d’action de grâce. Par contre les rites comme le baptême et le partage du pain et du vin se font au nom de Jésus. Avec les non adorants de son époque (Simon Budny en Lituanie, Giacomo Paleologo / Jacob Palaeologus qui enseignait au collège de Kolozsvar) , F. David était bien dans la logique de la foi unitarienne qui n’accepte pas la divinisation de Jésus, simplement homme, et qui en tire les conséquences.
Dans une lettre qu’il adressa à l’Italien-Grec G. Paleologo, G. Biandrata fit valoir que le conflit n’avait pas été d’ordre théologique, ni une question de personne, mais institutionnel. En effet, la mort accidentelle, lors d’une partie de chasse du roi Jean II Sigismond (le 14 mars 1571) marqua un coup d’arrêt au développement de la Réforme anti-trinitaire. Le nouveau prince de la Transylvanie, Etienne Ier Bathory est en effet catholique.
Si G. Biandrata peut conserver son rôle de médecin de cours et de conseiller, par contre F. David perd sa place de chapelain. Les autres anti-trinitaires sont également écartés. L’imprimerie royale de Gyulafehérvár n’est plus en leurs mains et le 17 septembre de la même année, le nouveau régime impose la censure préalable à toute publication religieuse, y compris pour une réédition. Puis, les 15-19 mai de l’année suivante (1572), si la diète de Torda confirme les lois religieuses promulguées par Jean II Sigismond, Etienne Bathory y fait ajouter l’interdiction de toute innovation : la Réforme s’arrête ! Les réformateurs doivent gérer les acquis sans vouloir aller au-delà. C’est la fin de la Réformation au sens où les protestants l’entendent aujourd’hui.
En 1574, les anti-trinitaires perdent deux des leurs : l’imprimeur Heltai Gáspár (à Kolozsvar) et le pasteur György Alvinczi arrêté et exécuté par les calvinistes dans le cadre d’un débat théologique à Nagyharsány. Mauvais points aussi en 1575 avec la participation d’anti-trinitaires dans une révolte de nobles.
L’Eglise anti-trinitaire n’est toutefois pas menacée en tant que telle.
La Diète tenue le 28 janvier 1576 à Medgyes reconnaît l’épiscopat de Dávid Ferenc et le droit à l’Eglise d’élire son évêque. Mais la même année, la pression catholique augmente car Christophe Bathory succède à son frère Etienne parti en Pologne où il deviendra roi. Les anti-trinitaires peuvent toutefois tenir un important synode à Torda en mars 1578, réunissant 322 ministres *, où ils réaffirment la liberté de recherche sauf sur les points qui ont déjà été tranchés dans le cadre d’un synode.
* le nombre de participants des synodes anti-trinitaires est désormais limité sur décision de C. Bathory
Georges Biandrata va toutefois relancer le débat théologique qui sera funeste à F. David : en mars de la même année (1578), il fait venir Faust Socin à Kolozsvar afin de convaincre F. David de la nécessité du culte à Jésus. Le 28 février 1579, le synode de Torda rejette l’accusation de G. Biandrata et considère qu’il s’agit seulement du développement d’un enseignement antérieur et que cela est non seulement permis mais requis de la part des pasteurs. Mais en mars, passant outre cette décision synodale de son Eglise, G. Biandrata dénonce F. David devant le Prince. DL'évêque est immédiatement interdit de prêche, détenu en sa maison et traduit le 26 avril devant la Diète de Torda. La Diète conseille au Prince le temps de la réflexion et le jugement est reporté les 1-2 juin à Gyulafehérvár. L’accusation y est menée par le jésuite János Leleszi. Le groupe de G. Blandrata et Déméter Hunyadi, présents à la séance, déclare que l’enseignement de D. Ferenc est bel et bien une innovation. Une fois F. David condamné et emprisonné à Deva, le même groupe obtient du synode du 2 juillet 1579 à Kolozsvar un alignement sur 4 points : la divinité de Jésus, le culte et l’invocation de Jésus et le royaume du Christ. Puis un consistoire de 24 membres élit D. Hunyadi comme successeur. Le 20 octobre, les Jésuistes sont autorisés à ouvrir des écoles et le 7 ou le 15 novembre,
F. David meurt dans son cachot.
Il avait écrit sur le mur : “ Ni l'épée des papes, ni la croix, ni l'image de la mort - rien ne va arrêter la marche de la vérité. J'ai écrit ce que j'ai ressenti et c'est ce que j'ai prêché avec l'esprit de vérité. Je suis convaincu que, après ma disparition, les enseignements des faux prophètes vont s'effondrer. "
A Temesvar, en novembre, le pasteur anti-trinitaire Karádi Pál lance pamphlet accusant G. Biandrata et D. Hunyadi de trahison et fait dissidence de l’Eglise. Il devient évêque de cette dissidence des Eglises locales du Banat, et, en 1580, il publie une Defensio Francisci Davidis, jouant ainsi, en face de G. Biandrata, le même rôle de Sébastien Castellion en face de Jean Calvin. A Franckfort, les œuvres de F. David sont réédités par Paleologus Jakab, Glirius-Vehe-Mátyás and Hertel Dávid.
Pour cette partie historique, nous avons utilisé la chronologie de Janos Erdö, traduite en anglais par Judit Gellérd "Major dates from the History of the Transylvanian Unitarian Church" (lien ).
affiche de la pièce de théatre "Giorgi Biandrata, La Vole ed il Leone",
avec Lionello Nardo dans le rôle de G. BIandrata
En pleine connaissance de cette trahison et de ce drame, quel allait être le comportement des unitariens d’aujourd’hui par rapport à l’initiative de l’Association Giorgio Biandrata de Saluzzo de faire un colloque international en hommage du fils du pays ? Les organisateurs associèrent à celle de leur héros la figure victimaire de Michel Servet et finalement convièrent les participants à une réflexion plus élargie sur les humanistes italiens du XVIème siècle (lien).
Aussi inopportun que fut le conflit théologique entre G. Biandrata et F. David, le principal fut la survie de l’Eglise unitarienne de Transylvanie, alors que l’Eglise correspondante en Pologne fut interdite par la Diète de ce royaume en 1658. C’est cela que finalement qu’il nous faut retenir aujourd’hui.
En ce sens, le message de l’évêque de l’Eglise unitarienne de Transylvanie aux participants du colloque (lien) se trouva complété par la présence de trois unitariens : les révérends Ferenc Miko (Transylvanie) (lien) et Roberto Rosso (Italie), et Jean-Claude Barbier (France) (lien), en sa qualité de fondateur de l’Eglise unitarienne francophone (lien). Cela s’appelle tourner une page d’histoire, aussi douloureuse soit-elle. Elle n’est ni oubliée, ni absoute, mais laissée à l’histoire et aux historiens. En tant qu’unitarien, c’est le meilleur de Giorgio Biandrata dont nous avons à recevoir l’héritage.
En paix, nous l’avons réintégré dans notre histoire d’Eglise.