Discussion sur l’unitarisme sur la page Facebook du Groupe « Eglise réformée de France », fin novembre 2011, présenté par Jean-Claude Barbier, article à la Une du bulletin de la Correspondance unitarienne n° 111, janvier 2012.
R.J. - L'adjectif "chrétien" venant du substantif "christ", et les unitariens ne reconnaissant dans le meilleur des cas qu'un statut de maître à penser à Jésus de Nazareth, faut-il vraiment les affubler de ce qualificatif ? Il me semble qu'il y a là une évolution à partir du christianisme, mais qui a pris son autonomie comme le christianisme l'a fait précédemment par rapport au judaïsme.
M.J. - Ce n'est pas très sympa de chercher à exclure ceux qui ne sont déjà pas très nombreux ... Castellion au secours ! J'aime bien l'article 1er de la discipline de l'ERF (qui va être conservé dans l'EPUF) : " L'Eglise réformée de France professe qu'aucune Eglise particulière ne peut prétendre délimiter l'Eglise de J.-C., car Dieu seul connaît ceux qui lui appartiennent " ...
N.B. Il [le premier intervenant] ne cherche pas à les exclure. Je comprends sa vision des choses. On ne peut pas dire qu'ils soient chrétiens, étant donné que pour eux, Jésus n'est pas l'incarnation de Dieu, qu'il n'est pas mort et ressuscité pour le salut de nos âmes. Être chrétien, c'est justement reconnaître cela.
M.J. – Attention ! il peut y avoir une façon mythologique de croire à l'Incarnation qui n'est pas celle des premiers siècles ! Pour moi j'en reste au : " Dieu seul connaît ceux qui lui appartiennent"... J'aime bien quand Raphaël Picon écrit : "Ce qui fonde notre vérité ultime n'est pas ce que nous faisons ou donnons à voir de nous-mêmes, mais ce qui nous saisit, nous traverse et nous précède.." (Evangile et Liberté, « magazine théologique chrétien libéral », n° 177, lien).
R.B. - Et le mot Christ signifiant Messie, peut-être faudrait-il aussi exclure tous ceux qui ne croient pas que Jésus est venu rétablir la monarchie dans l'État d'Israël. Cette boutade pour dire que le mot Christ, comme le mot Seigneur d'ailleurs, ont fait l'objet de tellement d'interprétations que celle des unitariens en vaut bien d'autres. Bon c'est vrai quoi, comme "chrétiens", les unitariens, ils sont un peu borderline, mais c'est pour ça qu'on les aime. J'aurais plutôt tendance à considérer que "les confessions de foi successives" de l'Église constituent autant de poteaux indicateurs plantés dans notre histoire. Merci de ne pas les considérer comme des clôtures. Merci aussi de ne pas les arracher. Parce que tendre du fil de fer barbelé entre les poteaux indicateurs, ça ne se fait pas.
Tout ce qu'on peut dire d'un point de vue formel, c'est que les unitariens renoncent volontairement à la "catholicité", alors que les confessions Luthériennes et Réformées y prétendent explicitement (cf. les articles 1 à 4 de la Confession d'Augsbourg).
N.B. - Comment ça, ils renoncent à leur "catholicité" ? Et comment ça, nous y "prétendons explicitement" ? Tu parles de "catholicité" au sens grec du terme (universel) ou au sens romain ?
R.B. - http://www.egliselutherienne.org/bibliotheque/CA/AC1erePartie.html (lien)
Je crois que les articles 1 à 4 la définissent assez bien. Je réserverais volontiers "universel" pour un usage moins formel et plus large. Donc je l'entends au sens romain : les Églises réformées et luthérien-nes sont tout autant les légitimes héritières de cette catholicité là.
Première Partie - Confession d'Augsbourg de 1530, http://www.egliselutherienne.org (lien)
Nos Églises enseignent en parfaite unanimité la doctrine proclamée par le Concile de Nicée : à savoir qu'il y a un seul Être divin, qui est appelé et qui est réellement Dieu. Pourtant, il y a en lui trois Personnes, également puissantes et éternelles : Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint... Et la Confession de la Rochelle prend bien soin de se référer aux mêmes critères. Alors que les unitariens s'en détachent.
R.J. - Quelles que soient les interprétations des mots, il y a quelques fondamentaux qui demeurent. Au temps où le mot "mashiah" a été utilisé en hébreu, il a servi dans la Bible à désigner trois catégories de personnes : les rois, c'est vrai, mais aussi les Grands prêtres et les prophètes. Pour autant que je comprenne ce que M.J. nous dit des unitariens, la notion même de messianité est totalement rejetée par leur Eglise. Ils n'envisagent aucune forme de révélation de celui que l'on appelle le Dieu. Chez eux, tout me semble affaire de réflexion et de quête de sens. Cela me parait extrêmement respectable, mais je doute que ce soit encore du christianisme.
à M.J. : Je ne désire absolument pas exclure qui que ce soit ! Par contre, ce qui me semble violent, c'est la façon dont nous récupérons parfois certains mouvements ou courants de pensée en cherchant à les intégrer dans nos critères et nos champs de références. Les unitariens souhaitent-ils vraiment être qualifiés de chrétiens ? Est-ce qu'au moins nous leur avons demandé leur avis ? Il n'en demeurent pas moins d'excellents interlocuteurs pour le dialogue entre les différentes recherches de Dieu.
M.J. - Cher R.J, mais pourquoi vouloir toujours jauger / juger l'autre ?.. Les unitariens (plutôt européens) se veulent chrétiens ou universalistes-post-chrétiens (outre Atlantique) [ndlr – plutôt « unitariens-universalistes »] : Dieu seul connaît ceux qui lui appartiennent ! La recherche des hérétiques fut une maladie mentale du christianisme alors que la seule hérésie du christianisme fut son manque d'amour !
Aujourd'hui, on nous attend au tournant de notre capacité de dialoguer avec les religions non-chrétiennes (dont l'islam) et avec l'athéisme ... Dans ce contexte les unitariens (universalistes ou pas) [ndlr – idem remarque précédente] très minoritaires sont de notre côté comme les Quakers et les Baha’is !
R.J. - Tout à fait d'accord, M.J. ! Qui parle ici de jauger ou de juger ? J'aime beaucoup l'expression américaine. L'appellation "post-chrétien" correspond exactement à ce que j'essaie de dire. Ce n'est ni un rejet, ni une condamnation, ni quoi que ce soit de semblable. Juste le besoin pour moi de rester clair envers la société. Pour nos contemporains, les chrétiens pensent que Dieu se donne à connaître dans la vie de Jésus de Nazareth. D'après ce que tu nous communiques habituellement sur les unitariens, ils ne s'intéressent guère plus à Jésus qu'à Platon ou Gandhi et ne croient pas que Dieu se donne à connaître de quelque manière que ce soit. Nous ne manions pas les mots juste pour notre petit monde luthéro-réformé ! Tout ce que nous publions est accessible aux internautes de manière universelle.
M.J. - Tout à fait d'accord avec toi , R.J... Seulement soyons larges et généreux... Moi j'ai toujours cru à l'amour de Dieu depuis mon enfance car mon père fut quelqu'un de formidable et de très bon (j'en ai témoigné le jour de ses obsèques). Ma foi n'est pas que dogmatique, elle est psychologique et fruit d'une éducation. De même quand, adolescent, j'ai commencé à lire, par moi même, un évangile c’était après avoir parcouru un livre sur Gandhi … Gandhi m'a conduit à Jésus. De même, l'historien romantique Napoléon Peyrat demandait qu'on arrête d’opposer Platon à Moïse.
R.P. - Je crois qu'il est bon de rappeler comme R.J. que Christ est d'abord un terme hébreu : Messie. Mais, Cher R.J., il faut aller plus loin et se dire que les chrétiens ont tendance à récupérer ce terme à leur profit et même à se l'accaparer et à croire que leur interprétation de ce titre est la seule bonne. Or Christ, ou Messie, c'est bien un titre, celui d' "oint" . Ce titre qui est donné dans la Bible non seulement à Saül et David, mais aussi, il faut le souligner, à Cyrus, le roi de Perse, installé à Babylone (voir Esaïe 45,1) et qui a une autre religion bien différente de celle des Juifs, même s'il est monothéiste, puisqu'il est mazdéen. Les Juifs n'ont jamais eu une interprétation unique de la signification de ce titre. Si aujourd'hui, une partie des Juifs attendent encore la venue d'un messie individuel, beaucoup d'entre eux, les Juifs réformés notamment, croient plutôt à une signification symbolique de ce terme et n'attendent tout au plus que des temps messianiques. Ajoutons que les musulmans donnent aussi à Jésus de Nazareth le titre de Christ, mais avec une interprétation bien différente de celle des chrétiens.
Personnellement, membre d'une paroisse réformée, je suis de sensibilité unitarienne chrétienne et je tiens à me situer dans cette tradition chrétienne dont j'ai hérité (par une famille catholique), même si je donne à ce titre une signification nouvelle, mais peut-être pas si lointaine de celle que lui donnaient les premiers disciples de Jésus qui n'auraient jamais osé en faire un Dieu.
Pour moi, un christ (je dis bien un et non pas le) est un être empli de l'Esprit saint et le christ que je suis est le Jésus de Nazareth qui est au centre de mon héritage culturel et spirituel. Il n'est pas Dieu incarné, mais un maître spirituel, et je comprends bien qu'en Asie certains le considèrent comme un Bouddha, c'est à dire un Etre éveillé, terme qui pour moi est presque superposable à celui de Christ. Donc, j'ose dire que le Gautama, le Bouddha historique, est un Christ, mais ce n'est pas celui de mon héritage culturel.
N.B. - Jésus LE Christ, le Messie, le oint de Dieu.
R.P. - Vu qu'il y a eu d'autres Messies avant Jésus, dont un non Juif, comme je l'ai expliqué ci-dessus, la position de ceux qui croient qu'il est "le" seul Messie n'est pas tenable. C'est simplement leur Messie, ce qui est déjà beaucoup ...
N.B. - Ce n'est pas notre Messie, mais c'est Le Messie de toute l'Humanité, celui qui nous a sauvé.
R.B. - Et qui nous sauve.
N.B. - Maintenant, et pour toujours, Amen.
R.P. - Tant mieux, si cela vous aide et ne vous empêche pas de rester tolérants avec les autres, mais votre position, à mon avis, n'est pas le résultat d'une expérience personnelle, mais celui d'une soumission aux dogmes des Eglises ... Amen !
R.B. - Faut-il énumérer le nombre de situations où, dans mon existence, le souvenir des promesses de mon baptême fût pour moi planche de salut ? D’où la certitude d'être personnellement impliqué dans la séquence "passion-croix-resurrection" m'a permis d'affronter les crises et d'en sortir. Le nombre de fois où 2 Cor 1, 8 et ss s'est interprété de soi-même ? Auquel des trois de cette séquence attribuer ce miracle sans cesse renouvelé ?
R.P. - Tant mieux, Richard. Malgré la petite "pique" de mon précédent message, mes réflexions n'ont pas pour but de dévaloriser vos expériences, mais de répondre à la question initiale de R.J. : pourquoi les unitariens se disent-ils chrétiens ? N.B. - Bonne question ! [ndlr –la question initiale de R.J. que R.P. vient de rappeler].
P.C. - Et pas neuve...
X.L. - Les messies, c'est amusant car on n'en trouve toute une ribambelle dans le premier testament : Samuel, David, Salomon, etc. On ne trouve pas le terme "Christos", mais le terme hébraïque "Mashia".
R.J. - C'est vrai, Xavier, à ceci près que « christos » est le seul mot utiliser pour traduire « mashiah » dans la toute première traduction du Premier testament, la Septante.
JCB (Jean-Claude Barbier, chrétien unitarien, Bordeaux) : Pauvres unitariens, vraiment méconnus et maltraités dans ce dialogue ! Pourtant nous avons pleins de sites qui expliquent tout, à commencer par celui de l'Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens (AFCU) dont Théodore Monod fut le président d'honneur jusqu'à sa mort (lien).
Cher R.J., votre question sur les unitariens est très pertinente, mais elle concerne une partie des unitariens seulement (car nous sommes une grande famille de près d'un million d'habitants). A partir de la fin du XIXème siècle, les congrégations unitariennes des Etats-Unis ont commencé à ouvrir leurs portes, sur la base des valeurs évangéliques, à des non chrétiens (agnostiques, non-théistes, humanistes spirituels) puis à d'autres religions en tant que faisant partie du patrimoine spirituel de l'Humanité (bouddhistes, soufis, baha'is, etc.) - d'où la pratique de l'échange "interfaith". Ces unitariens se disent depuis 1961 "unitariens-universalistes" et, en tant que communautés, ne se disent plus officiellement "chrétiens" (bien qu’environ 13% d'entre eux aux Etats-Unis et 60% au Royaume uni le soient). Il s'agit donc d'un post-christianisme où le christianisme reste une valeur sûre, mais n'est plus exclusif ; il est mis sur le même pied d'égalité avec d'autres héritages religieux et d'autres spiritualités.
Je poursuis sur l'état de l'unitarisme contemporain : nos Eglises historiques de Transylvanie et de Hongrie sont restées tout à fait protestantes (la Réforme anti-trinitaire qui est la "benjamine" des Réformes protestantes du XVIème siècle). Certes, c'est un peu différent de la luthérienne et de la calviniste, mais c'est protestant historique quand même ! Se sont ajoutées à ce pôle unitarien chrétien, fin XX° et début XXI° des associations chrétiennes unitariennes en France, Royaume Uni, Italie, Afrique noire et Amérique latine. La confession unitarienne (au sens chrétien du terme) existe donc et est reconnue comme telle.
A compter désormais dans la grande famille unitarienne, les chrétiens universalistes (de l'Eglise universaliste américaine qui, à partir de la fin du XVII° siècle professa que le salut était universel puisque la Rédemption avait été faite une fois pour toute par le sacrifice de Jésus et que cela valait pour tous les hommes sans exception). Cette Eglise n'a jamais remis en cause le dogme trinitaire (elle n'est donc pas anti-trinitaire), mais elle n'en parle pas et est libérale et non dogmatique. Elle a fusionné en 1961 avec les congrégations unitariennes, ce qui a donné l'unitarisme-universalisme qui est la dénomination officielle de l'unitarisme aux Etats-Unis. Paradoxalement, ce sont donc les unitariens post-chrétiens des Etats-Unis qui, dans une corbeille de noces, ont apporté une autre confession chrétienne dans la mouvance de l'unitarisme contemporain. Pour en savoir plus sur cette confession chrétienne voir notre dossier (lien).
Le nom historique de Jésus qui fait usage est Jésus-Christ, à savoir Jésus dit le Christ, considéré comme le Christ par ses adeptes. Lorsqu'un historien l'appelle ainsi, cela ne veut pas du tout dire qu'il reconnaît que Jésus soit messie, ni le Messie par excellence, ni celui qui est concerné par les prophéties "messianiques" des textes hébraïques. En plus, "messie" ne veut pas dire sauveur, mais oint par Dieu. Il y en eut plusieurs pour les Juifs : Darius, David, Jésus, et après Jésus aussi ... Bon, Jésus ne semble pas avoir fait l'unanimité, mais c'est là une autre histoire. Pour les nazôréens, à savoir les judéo-chrétiens de Jérusalem, il était pour eux le Messie attendu (avec un M majuscule !). Cela n'a rien à voir avec le dogme trinitaire qui, lui, est beaucoup plus tardif et qui avance que Jésus est Dieu incarné. Ce n'est qu'à partir du concile de Nicée en 325 que cette croyance fut "obligatoire" : avant cette date, les chrétiens - comme l’a dit Théodore Monod - étaient pré-nicéens ; ils n'en étaient pas moins chrétiens !
R.J. - Merci beaucoup, Jean-Claude ! Voici, enfin, des réponses concrètes et dépassionnées. Et les sites mentionnés me seront très utiles également.
E.G. - Euh, l'idée que Jésus est "Fils de Dieu", dans un sens plus fort qu'une simple filiation spirituelle, est quand même bien antérieur au concile de Nicée et aux histoires de substances, essences, etc. On la trouve tout à fait attestée dans un certain nombre d'épîtres, et pas les plus tardives d'entre elles...
JCB - Je réponds à E.G. Si mes souvenirs sont bons, Paul, à deux reprises, reprend des hymnes christiques populaires, d'un style tout à fait lyrique, exalté, théologiquement très approximatif et difficile à traduire, où il est question d'un dieu qui a accepté de s'abaisser à la condition humaine. C'est peut-être (?) une allusion au Fils de l'homme du Livre d'Hénoch qui était avec Dieu (donc "comme un dieu") avant que de descendre sur terre, figure que Jésus semble s'être appropriée pour lui-même (lien).
Et puis, il y a effectivement dans l'évangile de Jean cette histoire de Fils unique, Bien aimé de Dieu, qui promet de nous introduire dans la proximité de Dieu "son père" : qui me voit, voit Dieu. Donc un introducteur à Dieu, en position privilégiée. Nous restons cependant au niveau d'une filiation toute spirituelle. La "chair" commence avec le logos du Prologue = la Sagesse de Dieu qui s'incarne en Jésus ; mais c'est seulement une incarnation du Logos, du seul Verbe, et non pas de Dieu lui-même tout entier, dans sa personne même ! Au tout début du IIème siècle, vers 110, dans les épîtres de l'évêque d'Antioche, Ignace, la divinité de Jésus est affirmée à plusieurs reprises : Jésus est dieu à côté de Dieu, sans que l'on explique toutefois le passage de l'un à l'autre ! Les prémisses de la Trinité n'arrivent qu'à la fin du IIème siècle avec Tertullien et on connaît la suite. Bon, j'ai oublié Luc et son évangile de l'enfance ! Cela constituera d’ailleurs un argument de poids pour Ignace d'Antioche.
Ndlr – Les réseaux sociaux étant des espaces privés où n’accèdent que des « amis », nous avons, par discrétion, réduits les noms des discutants à leurs initiales, hormis pour l’éditeur de ce débat, Jean-Claude Barbier. Les lecteurs auront pu constater le bon niveau des débats et la courtoisie qui y a régné, ce qui est tout à l’honneur de ce groupe Facebook de l’Eglise réformée de France (ERF).