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le calice des unitariens

chaque communauté unitarienne arbore un blason ou un logo. Voici celui des unitariens qui sont regroupés au sein de l'Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens (AFCU). Voir sur son site à la rubrique "le calice des unitariens"
http://afcu.over-blog.org/categorie-1186856.html


 

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21 septembre 2012 5 21 /09 /septembre /2012 18:52

par Frédéric S. Eigeldinger (Suisse) *

* l'un des meilleurs spécialistes de Rousseau, il a récemment participé à la réédition complète des oeuvres de ce philosophe. Voir de lui, entre autres, un "Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau" publié en 2006.

 

À lire ses différentes déclarations, Jean-Jacques Rousseau se réclame de la foi Réformée au grand dam de tous ses amis « philosophes » et malgré les foudres des églises catholiques et protestantes du XVIIIe siècle. Il écrit au pasteur de Montmollin le 24 août 1762 : « Je vous déclare, Monsieur, avec respect, que, depuis ma réunion à l’Église dans laquelle je suis né, j’ai toujours fait de la religion chrétienne réformée une profession d’autant moins suspecte, qu’on n’exigeait de moi dans le pays où j’ai vécu que de garder le silence et laisser quelque doute à cet égard, pour jouir des avantages civils dont j’étais exclu par ma religion. Je suis attaché de bonne foi à cette religion véritable et sainte, et je le serai jusqu’à mon dernier soupir. ».


On sait que toutes les misères suscitées à Rousseau viennent de sa fameuse « Profession de foi du vicaire savoyard » publiée dans l’Émile en 1762. Il s’est mis à dos les Diderot ou Voltaire, convaincu par son éducation genevoise calviniste que l’athéisme du premier ou le déisme du second n’étaient ni l’un ni l’autre siens, mais jusqu’à la fin de sa vie il a été tourmenté par les arguments des matérialistes. « Je me dis enfin : me laisserai-je éternellement ballotter par les sophismes des mieux disants, dont je ne suis pas même sûr que les opinions qu’ils prêchent et qu’ils ont tant d’ardeur à faire adopter aux autres soient bien les leurs à eux-mêmes ? Leurs passions, qui gouvernent leur doctrine, leurs intérêts de faire croire ceci ou cela, rendent impossible à pénétrer ce qu’ils croient eux-mêmes. Peut-on chercher de la bonne foi dans des chefs de parti ? Leur philosophie est pour les autres ; il m’en faudrait une pour moi. Cherchons-la de toutes mes forces tandis qu’il est temps encore afin d’avoir une règle fixe de conduite pour le reste de mes jours. […] Après les recherches les plus ardentes et les plus sincères qui jamais peut-être aient été faites par aucun mortel, je me décidai pour toute ma vie sur tous les sentiments qu’il m’importait d’avoir, et si j’ai pu me tromper dans mes résultats, je suis sûr au moins que mon erreur ne peut m’être imputée à crime, car j’ai fait tous mes efforts pour m’en garantir. »


Pour qui a fréquenté les cultes du Désert à Mialet, il se convainc aisément que cette cérémonie annuelle eût convaincu Rousseau par son authenticité et sa simplicité. Sous les chênes, on assiste encore aujourd’hui à ce qu’il aspirait, à savoir une réunion de frères au-delà de toute divergence d’exégèse, parce qu’imprégnée de la persécution dont elle a été l’objet. Le fondement de sa pensée reste bien la lecture personnelle des saintes Écritures, en dehors de tout dogmatisme : il a lu la Bible en entier « au moins cinq ou six fois de suite » dans sa vie et toutes ses réflexions sont appuyées sur les textes tels qu’il les entendait. On ne peut être plus Réformé que lui sur ce plan.

 
Converti malgré lui au catholicisme en 1728, il réintègre la religion de ses pères en 1754 et n’en démordra plus. Et pourtant il avait écrit, outre la lettre au pasteur de Montmollin, deux autres professions de foi (dans La Nouvelle Héloïse et dans l’Émile). À ceux qui lui demandent si ces déclarations sont les siennes, il répond inlassablement qu’il transcrit ce qu’il a entendu, mais au pasteur Moultou il avoue : « vous concevrez aisément que la profession de foi du vicaire savoyard est la mienne. »


En fait ce qui peut frapper tout chrétien dans la réflexion de Rousseau, c’est, outre sa négation des peines de l’enfer (donc du péché originel), la remise en cause des miracles du Christ. Jésus n’est pas pour lui le « fils » de Dieu, mais un homme conçu par un couple, et élu par Dieu – parmi ses fils que chaque être humain est censé être – pour révéler son message, non pas comme un autre prophète, mais pour délivrer une nouvelle essentielle de fraternité : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! » Le mot « frère » est fondamental dans sa pensée morale et religieuse.

 

Les miracles sont pour les faibles dans la foi ou les superstitieux. « Il reste toujours prouvé par le témoignage de Jésus même, que, s’il a fait des miracles durant sa vie, il n’en a point fait en signe de sa mission. » Ou encore : « Et tant s’en faut que l’objet réel des miracles de Jésus fût d’établir la foi, qu’au contraire il commençait par exiger la foi avant que de faire le miracle. Rien n’est si fréquent dans l’Évangile. C’est précisément pour cela, c’est parce qu’un prophète n’est sans honneur que dans son pays, qu’il fit dans le sien très peu de miracles ; il est dit même qu’il n’en put faire à cause de leur incrédulité. Comment ? C’était à cause de leur incrédulité qu’il en fallait faire pour les convaincre, si ses miracles avaient eu cet objet ; mais ils ne l’avaient pas. C’étaient simplement des actes de bonté, de charité, de bienfaisance, qu’il faisait en faveur de ses amis, et de ceux qui croyaient en lui. »

 

Ainsi justifie-t-il sa conviction avec force, s’appuyant pas à pas sur les Écritures dans les Lettres écrites de la montagne (1764) qui lui vaudront les foudres de la Compagnie des pasteurs de Genève et par ricochet celle de la Vénérable Classe de Neuchâtel manipulée par celle-là. Le pasteur Sarasin de Genève a tout fait pour influencer son collègue de Môtiers qui s’était déjà montré intolérant à l’égard de F.-O. Petitpierre à propos de la « non-éternité » des peines de l’enfer prêchée par ce dernier (1758-1760). Ainsi mis sous pression malgré sa naturalité neuchâteloise acquise par la grâce de Frédéric II et sa bourgeoisie de Couvet, il devra quitter sous la menace sa terre d’asile en septembre 1765 et ne reverra jamais sa patrie suisse.

 

Illustration : « Jean-Jacques Rousseau, en Suisse, persécuté et sans asile » Gravure de Louis François Charon d'après Bouchot (Musée Carnavalet,Paris.)


jean_jacques_rousseau_en_suisse.jpgOui, Rousseau est un vrai Réformé, victime de clergés qui se croient encore omnipotents dans le dogme ; ses écrits sont d’un lecteur attentif et raisonné des écrits bibliques. Il s’adresse d’ailleurs au Consistoire le Môtiers le 9 mars 1765 en ces termes : « Messieurs, je vous supplie de considérer que, vivant depuis longtemps dans le sein de l’Église, et n’étant ni pasteur, ni professeur, ni chargé d’aucune partie de l’instruction publique, je ne dois être soumis, moi particulier, moi simple fidèle, à aucune interrogation ni inquisition sur la foi : de telles inquisitions, inouïes dans ce pays, sapant tous les fondements de la Réformation, et blessant à la fois la liberté évangélique, la charité chrétienne, l’autorité du prince, et les droits des sujets, soit comme membres de l’Église, soit comme citoyens de l’État. Je dois toujours compte de mes actions et de ma conduite aux lois et aux hommes, mais puisqu’on n’admet point parmi nous d’Église infaillible qui ait droit de prescrire à ses membres ce qu’ils doivent croire, donc, une fois reçu dans l’Église, je ne dois plus qu’à Dieu seul compte de ma foi. » Il demeure en ce sens un exemple moderne de foi indépendante de tout dogmatisme ou de considérations théologiques ; en un mot il était théiste (comme les pasteurs de Genève étaient sociniens selon D’Alembert) : « J’ai haï le despotisme en républicain et l’intolérance en théiste. »


« Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix, guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. »

 

Ndlr - en doutant de l'existence de l'enfer et donc du péché originel, de la filiation divine de Jésus et par sa position adoptionniste (Jésus a été adopté par Dieu après sa naissance), par sa relecture moins littérale des miracles (qui fera place carrément au doute avec l'exégèse protestante allemande des années 1830), enfin par sa réflexion philosophique misant sur la raison, Jean-Jacques Rousseau est apparaît finalement très proche des thèses sociniennes bien qu'il n'en ait semble-t-il jamais parlées.  Nous nous permettons en conséquence de le placer dans notre rubrique consacrée au socinianisme car ses positions s'avèrent déjà très éloignées de la Réforme calviniste, celle-ci restant - à cette époque - dogmatique et attachée à une lecture littérale de la Bible.

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